L’Internet a remplacé la télévision comme gardien et enseignant de nos enfants

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Publié 22/02/2011 par Réjean Beaulieu

Durant les années 50, un jeune professeur d’anglais en voie de devenir éminent «critique culturel et théoricien des médias américains» s’inquiétait dans une école de New York. Il avait réalisé qu’une plus grande classe, plus spectaculaire et plus attirante, était en train d’apparaître, et qu’elle «enseignerait» aux élèves, peu importe la capacité de l’enseignant à les rejoindre: We’re being out taught by the media! La télévision, ou plus généralement les médias, deviendrait ainsi «première au curriculum» et l’école, deuxième, selon Neil Postman* (1931-2003).

Cinquante ans plus tard, de grands débats ont cours sur les difficultés que les écoles ont à former leurs élèves. L’ordinateur personnel a progressivement envahi depuis vingt ans, l’Internet depuis dix et, plus récemment, les médias sociaux.

Le personnel enseignant et les élèves sont plus branchés que jamais. La difficulté d’obtenir et de maintenir l’attention pour plus que quelques instants confirme un enseignement médiatisé de-facto. Le temps consacré à l’ordi est devenu phénoménal: leçons, lectures, devoirs, examens, projets, recherches, communications élève-professeur, etc!

L’Internet a bel et bien remplacé la télévision, le «babysitter» de jadis. Personne ne s’étonne plus des problèmes qui en résultent: accoutumance, obésité, posture, socialisation, inattention, hyperactivité, déficit à l’écrit, à la lecture et à la pensée critique.

Sans oublier dépression, violence, drogue, hypersexualité et décrochage pour les moins chanceux!

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Toute la société serait en fait affectée, anticipait par ailleurs Postman dans Amusing Ourselves to Death: Public Discourse in the Age of Show Business (1985). Une trivialisation de la culture et du discours civil résulterait de cette abondance de contenus telle qu’articulée dans sa vision huxleyenne: «Huxley feared we would become a trivial culture, preoccupied with some equivalent of the feelies, the orgy porgy, and the centrifugal bumblepuppy». La surabondance s’accentue avec l’Internet, le web et les médias sociaux.

À cet égard, Postman parlait «d’écologie des médias». Une rétrospective sur Wikipedia conclut: «En conséquence, les structures qui rendaient les sociétés stables sont affaiblies et leur capacité à contrôler l’information diminue encore. Jusqu’à ce que plus rien n’ait de sens.»

Forces d’aliénatio

Le milieu minoritaire francophone n’échappe pas à ces tendances lourdes à l’école et dans ses médias. La surabondance s’y retrouve renchérie dans un environnement qui ne se limite plus à une langue/culture homogène (ou ce qu’il en reste), pour tous et chacun.

Et les forces d’aliénation, d’acculturation et d’assimilation continuent à gruger.

On pourrait donc s’attendre à ce qu’un tel environnement soit le premier à craquer. Et que les besoins de gestion des médias y soient encore plus manifestes que dans le milieu majoritaire.

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La Colombie-Britannique accordait en 1995 après de longues batailles juridiques la gestion scolaire à sa minorité francophone. Il s’agissait de la dernière province au Canada à obtenir ce droit.

À la lumière de l’œuvre de Postman, doit-on s’étonner que les taux d’assimilation que mesure Statistiques Canada y soient les pires au pays? Que les écoles se vident de leurs étudiants durant les années charnières de passage au secondaire ou encore au collégial/universitaire?

Que les roulements perpétuels de personnel nécessitent constamment du nouveau sang venu d’ailleurs, étant incapable de recruter parmi ses propres diplômés? Ou encore que nos médias soient incapables de nous faire part des difficultés d’un écosystème non renouvelable à travers les différents systèmes éducationnels? Finalement que nos médias soient incapables de nous informer pourquoi ils ne peuvent recruter des gens intégrés ici?

Malbouffe médiatiqu

On comprendra ainsi pourquoi la radio et la télévision accordent tant de couverture à Justin Bieber, aux derniers jeux/consoles vidéo, aux faits divers, à la météo, aux derniers résultats des Canucks ou de Manchester United, à l’évasion ou encore au centrifugal bumblepuppy. Bref la malbouffe médiatique: on gobe, la valeur nutritive n’y est pas et la faim subsiste.

On penserait pourtant qu’un adulte ou parent adéquatement informé sur ce qui compte véritablement aiderait la réussite scolaire locale des jeunes, les enfants étant généralement le reflet des choix des parents et de ceux qui les ont précédés. Quant au «développement de l’identitaire», que faire devant le traitement accordé à l’orgy porgy dans nos médias?

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Certains estimeront que nos médias, tout comme nos écoles, sont gérés localement et que les justes choix sont faits. Mais comment alors expliquer que cet environnement soit si hostile à ce qui se passe localement dans nos «affaires publiques»?

Que ledit public ne soit prêt à s’exprimer sur l’Internet ou dans des «courriers de lecteur»? Qu’aucun rôle modèle crédible ne puisse prendre souche? Que des nouvelles d’ici ne se retrouvent jamais à la une web nationale?

Qu’aucune publicité d’ici ne se retrouve sur notre web? Que l’Ombudsman de Montréal invoque la «liberté de la presse» quand les choix de pupitre locaux sont remis en question – ou que des nouvelles importantes d’ailleurs en milieu minoritaire ne soient pas partagées?

Que les médias du côté anglophone contribuent tout autant à la fabrication de notre oubli? Et que personne n’ait le courage de dénoncer les dérives, compte tenu du traitement que lui accorderont nos propres médias et les autres institutions qui sont supposées l’appuyer! Les exemples sont trop nombreux pour les énumérer. Les décisions étranges de pupitre, pareillement.

Pacte de Faus

Neil Postman, le grand guru des contre-médias, prend alors tout son sens. S’étonnerait-il s’il pouvait lire aujourd’hui sur Wikipedia: «Humaniste, il pensait qu’aucune nouvelle technologie ne pouvait se substituer aux valeurs humaines.»

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La marche arrière n’est plus possible et nous devons continuer. Le pacte de Faust de l’adoption de nouvelles technologies a été consacré. Cela dit, le milieu minoritaire constitue en quelque sorte un laboratoire expérimental pour la majorité, à tort ou à raison. Peut-être y a-t-il ici une occasion unique de reprise.

La gestion de nos médias pourrait devenir rassembleuse et gage de la réussite scolaire. Une réussite médiatique en lui injectant les valeurs humaines: pourquoi pas malgré tout?
www.fr.wikipedia.org/wiki/Neil_Postman

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