Lily Frost, complètement givrée

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Publié 12/05/2009 par Dominique Denis

Ceux qui suivent le cheminement de Lily Frost depuis ses débuts – au sein des Colorifics, puis en solo – en sont probablement arrivés à la conclusion que l’auteure-compositeure-interprète établie à Toronto était capable de toutes les métamorphoses: du rock décapant au lounge déjanté, du yéyé feutré (façon Françoise Hardy) à la bossa nova evanescente, et j’en passe. Mais peu de gens auraient cru que son incursion dans le répertoire de Billie Holiday, qui fait l’objet du CD Lily Swings, paru en 2008, donnerait lieu à l’un des chapitres les plus inspirés – et convaincants – de son histoire.

Si le projet s’impose aujourd’hui comme une belle évidence, sa genèse a connu passablement de circonvolutions. Au départ, il s’agit d’une histoire d’amour pour l’esprit de celle qu’on appelait Lady Day, un amour que Lily partageait avec son mentor, le regretté Ray Condo, dont les affiliations rockabilly et western swing se situaient assez loin de ce qu’on appelle communément du jazz. « Je ne me considère pas comme une chanteuse de jazz. J’ai un cœur punk rock! Et Ray était aussi comme ça.» rappelle Lily. «Lily Swings, c’était un projet artistique avec une esthétique distincte, que je voulais mener à terme pour rendre hommage à Ray. La plupart des musiciens que l’on retrouve sur le disque avaient joué avec lui, alors ils ont bien compris l’esthétique à la base du projet. »

Mais pour rendre possible les retrouvailles avec ces complices de la première heure sur leur terrain, en l’occurrence Vancouver, il fallait un mécène. Pour cela, Lily n’a pas eu à chercher trop loin. «Mon père, qui suit mon cheminement depuis le début, m’a dit que si jamais je voulais enregistrer un disque de jazz, il financerait le projet. Je lui ai dit que je le ferais, mais à ma façon. Et mon père m’a fait confiance. »

La magie Billie

Pour Lily, la magie de Billie Holiday, c’est d’abord une affaire de phrasé et de ton, ce ton un peu félin reconnaissable parmi mille. « Mais c’est aussi sa force de caractère qui me frappe, compte tenu de tout ce qu’elle a dû surmonter : la drogue, l’abus sexuel, la pauvreté, le racisme. Malgré toutes ces difficultés, on entend dans sa voix de la joie pure et spontanée, et cette voix a traversé le monde. »

Comme interprète, Lily était confrontée à un défi classique : comment rester fidèle à l’esprit de l’artiste à qui l’on rend hommage sans se contenter de copier ses traits caractéristiques, un exercice aussi futile que dommageable. « Quand les gens procèdent par imitation, ils créent une barrière entre eux et le public, ils créent quelque chose de faux parce qu’ils sacrifient leur propre identité.»

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Et pour Lily, le chemin le plus direct vers l’essence même de Billie Holiday passait par…Neil Young. « Moi et mon mari (José Miguel Contreras, qui est également le directeur artistique du projet), nous sommes de l’école de Neil, nous suivons le chemin qu’il a tracé: ce qui est important, c’est le feeling et le message, pas la perfection technique.»

On comprendra donc que Lily Swings se situe aux antipodes des productions léchées, où une certaine idée de la haute fidélité (chaque note de contrebasse, chaque coup de caisse claire est parfaitement capté) est atteinte au détriment du plaisir de s’éclater dans la bonne humeur et la complicité swingante.

«Quand on a fait les premiers enregistrements pour le disque sur la côte ouest, je savais que le son n’était pas ce que je recherchais. Mon mari disait que c’était un son trop “jazz pour l’après-midi”, trop L.A., alors qu’on voulait un son plus New York, plus crasseux. Alors on a retenu les prises qui avaient le plus d’énergie, et on les a fait passer à travers des vieux amplificateurs à tubes, en ramenant le tout au mono. »

Crise d’identité

Lily Frost est la première à admettre que son insatiable goût de l’exploration lui a attiré l’estime de la presse spécialisée, mais que cette liberté lui coûte cher. « Je change d’identité de projet en projet, et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai perdu une partie de mon public en cours de route.

C’est un peu dommage parce que c’est formidable de sentir ce lien avec le public, mais je dois absolument être excitée par ce que je fais.»

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Alors que d’autres interprètes s’efforceraient d’identifier la formule qui rapporte pour creuser ad nauseam le même filon, Lily s’apprête à prendre un nouveau virage, dicté en partie par sa vie de famille (elle a un fils de trois ans) et son imminent déménagement à la campagne.

«Je suis en train de préparer un album de chansons d’amour pour la forêt, les arbres. Ce ne sera pas un disque écologique, mais plutôt le document de mon histoire d’amour avec la nature. Un peu comme Emily Carr, qui faisait l’amour aux arbres dans la forêt…»

Mais en attendant cette nouvelle incarnation, il reste pas mal de sève à extraire de «Lily sings Billie for Ray», comme en témoignera le public de Hugh’s Room, où Lily Frost et ses musiciens (des Torontois cette fois) remettront ça le 16 mai, en ajoutant quelques chansons à celles que nous avons pu découvrir sur le disque.

Lily Frost à Hugh’s Room (2261, rue Dundas Ouest, 416-531-6604) le samedi 16 mai à 20h30.

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