Ceux qui suivent le cheminement de Lily Frost depuis ses débuts – au sein des Colorifics, puis en solo – en sont probablement arrivés à la conclusion que l’auteure-compositeure-interprète établie à Toronto était capable de toutes les métamorphoses: du rock décapant au lounge déjanté, du yéyé feutré (façon Françoise Hardy) à la bossa nova evanescente, et j’en passe. Mais peu de gens auraient cru que son incursion dans le répertoire de Billie Holiday, qui fait l’objet du CD Lily Swings, paru en 2008, donnerait lieu à l’un des chapitres les plus inspirés – et convaincants – de son histoire.
Si le projet s’impose aujourd’hui comme une belle évidence, sa genèse a connu passablement de circonvolutions. Au départ, il s’agit d’une histoire d’amour pour l’esprit de celle qu’on appelait Lady Day, un amour que Lily partageait avec son mentor, le regretté Ray Condo, dont les affiliations rockabilly et western swing se situaient assez loin de ce qu’on appelle communément du jazz. « Je ne me considère pas comme une chanteuse de jazz. J’ai un cœur punk rock! Et Ray était aussi comme ça.» rappelle Lily. «Lily Swings, c’était un projet artistique avec une esthétique distincte, que je voulais mener à terme pour rendre hommage à Ray. La plupart des musiciens que l’on retrouve sur le disque avaient joué avec lui, alors ils ont bien compris l’esthétique à la base du projet. »
Mais pour rendre possible les retrouvailles avec ces complices de la première heure sur leur terrain, en l’occurrence Vancouver, il fallait un mécène. Pour cela, Lily n’a pas eu à chercher trop loin. «Mon père, qui suit mon cheminement depuis le début, m’a dit que si jamais je voulais enregistrer un disque de jazz, il financerait le projet. Je lui ai dit que je le ferais, mais à ma façon. Et mon père m’a fait confiance. »
La magie Billie
Pour Lily, la magie de Billie Holiday, c’est d’abord une affaire de phrasé et de ton, ce ton un peu félin reconnaissable parmi mille. « Mais c’est aussi sa force de caractère qui me frappe, compte tenu de tout ce qu’elle a dû surmonter : la drogue, l’abus sexuel, la pauvreté, le racisme. Malgré toutes ces difficultés, on entend dans sa voix de la joie pure et spontanée, et cette voix a traversé le monde. »
Comme interprète, Lily était confrontée à un défi classique : comment rester fidèle à l’esprit de l’artiste à qui l’on rend hommage sans se contenter de copier ses traits caractéristiques, un exercice aussi futile que dommageable. « Quand les gens procèdent par imitation, ils créent une barrière entre eux et le public, ils créent quelque chose de faux parce qu’ils sacrifient leur propre identité.»