L’Histoire fait des histoires

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Publié 29/04/2008 par Ulysse Gry

Marc-Olivier Baruch était invité à l’Alliance française pour parler des modulations de l’Histoire. Devant une salle comble, le célèbre historien proposait une vision distanciée et pluridisciplinaire des manipulations du passé par le présent. Il revenait sur soixante ans de relation ambiguë de la France avec son Histoire, pour mieux éclairer les tensions actuelles et les enjeux de la nouvelle vision de l’État français.

L’Histoire n’appartient à personne, tout le monde peut l’instrumentaliser et elle ne fait pas exception au joug juridique. Ce constat, réaliste mais non établi, ne peut que sortir de la bouche d’un homme qui partage une vision à la fois historienne et juridique du passé. Marc-Olivier Baruch s’insurge contre tout déterminisme de la pensée historique, qu’il vienne des politiques ou des historiens.

Il propose donc de dépasser l’opposition grandissante entre Droit et Histoire en France, où l’État tente désormais des positions normatives sur son passé, entraînant une opposition orientée des historiens. Combattant de façon légitime une vision étatique et figée de l’Histoire, ces derniers tombent dans le piège de la politisation et s’imaginent «les mains blanches, nageant dans une pureté idéalisée de la science». Le passé, plus que jamais, s’écrit au présent.

Pour rendre compte des modulations de l’Histoire, il axe son discours sur la mémoire de la Shoah et du rôle de la France dans la déportation des juifs. «Une histoire longue, dure et chaotique», soumise aux tribulations du présent. Un bref retour en arrière est suffisant: du silence de honte au lendemain de la Seconde guerre mondiale au discours éloquent de Jacques Chirac en 1995, l’Histoire a longtemps vacillée. Au gré des vents de l’actualité, elle fut influencée entre autres par la guerre des Six jours de 1967, l’époque rétro de 1978, l’entrée du Front National sur la scène politique en 1984 et les procès Barbie et Papon.

Cette hésitation de la pensée historique montre bien plus que la domination du court terme: elle révèle pour l’historien le malaise de la France avec son passé. Il s’attache à dévoiler cette «histoire obsédante des Français avec leur passé», «cette complexité de la relation bourreaux-victimes».

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La France a une longue et importante Histoire, peut-être trop. La parole d’État et le savoir scientifique se la dispute depuis longtemps, et si le discours de Jacques Chirac en 1995 les avait courageusement rapproché, ils s’écartent aujourd’hui de plus en plus. Cet antagonisme fait forcément naître une vision manichéenne, et mourir la complexité.

Une complexité «que nous historiens avons à apporter», rappelle Marc-Olivier Baruch, témoin lors du procès Papon. Il fustige alors toute tentative de simplification historique, qu’elle vienne d’un camp ou de l’autre.

Et dénonce la loi du 23 février 2005 souhaitant reconnaître un caractère positif de la colonisation dans les programmes scolaires de France, votée par la majorité puis supprimée «par un tour de passe-passe juridique du gouvernement, de manière très peu glorieuse». De même qu’il s’en prend à la déclaration Liberté pour l’Histoire signée par de nombreux historiens en 2006, en réponse à cette intrusion gouvernementale dans le champ historique. Pour lui elle va trop loin quand elle affirme que l’Histoire n’est pas un objet juridique. «Au nom de quoi le droit maintiendrait les historiens à l’écart? J’inverserais donc les choses, en disant qu’il n’appartient pas non plus à l’historien de se faire le législateur du législateur.»

Chacun dans son camp, en somme, et ne faites plus d’histoires. Un conseil de moins en moins respecté, qui fait que «la France est aujourd’hui en décalage et en retard sur les autres pays». Il n’y a ainsi «aucune chaire sur la Shoah, ajoute-t-il, c’est un petit pays, mais quand même!» 

Un «refus de la nuance», qui pour lui transparaît du projet de Nicolas Sarkozy de faire porter à chaque enfant la mémoire d’un jeune déporté. «Une idée publicitaire» qui s’ajoute à une utilisation changeante et orientée de l’Histoire. Quand le président français invoque par exemple à Dakar un improbable et unifié paysan africain, qui ne connaîtrait «que l’éternel recommencement du temps rythmé sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles», avant de rendre hommage à Aimé Césaire sur son cercueil, chantre de la négritude dont la famille avait interdit la parole au président.

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«On peut considérer que les politiques sont des clowns qui vendent leur soupe en se parant des déguisements de l’Histoire, conclut Mar-Olivier Baruch, mais je ne partage pas cet avis.» Avant de rappeler qu’«il ne faut pas pour autant sous-estimer les convictions des politiques, ils savent très bien ce qu’ils disent».

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