Marc-Olivier Baruch était invité à l’Alliance française pour parler des modulations de l’Histoire. Devant une salle comble, le célèbre historien proposait une vision distanciée et pluridisciplinaire des manipulations du passé par le présent. Il revenait sur soixante ans de relation ambiguë de la France avec son Histoire, pour mieux éclairer les tensions actuelles et les enjeux de la nouvelle vision de l’État français.
L’Histoire n’appartient à personne, tout le monde peut l’instrumentaliser et elle ne fait pas exception au joug juridique. Ce constat, réaliste mais non établi, ne peut que sortir de la bouche d’un homme qui partage une vision à la fois historienne et juridique du passé. Marc-Olivier Baruch s’insurge contre tout déterminisme de la pensée historique, qu’il vienne des politiques ou des historiens.
Il propose donc de dépasser l’opposition grandissante entre Droit et Histoire en France, où l’État tente désormais des positions normatives sur son passé, entraînant une opposition orientée des historiens. Combattant de façon légitime une vision étatique et figée de l’Histoire, ces derniers tombent dans le piège de la politisation et s’imaginent «les mains blanches, nageant dans une pureté idéalisée de la science». Le passé, plus que jamais, s’écrit au présent.
Pour rendre compte des modulations de l’Histoire, il axe son discours sur la mémoire de la Shoah et du rôle de la France dans la déportation des juifs. «Une histoire longue, dure et chaotique», soumise aux tribulations du présent. Un bref retour en arrière est suffisant: du silence de honte au lendemain de la Seconde guerre mondiale au discours éloquent de Jacques Chirac en 1995, l’Histoire a longtemps vacillée. Au gré des vents de l’actualité, elle fut influencée entre autres par la guerre des Six jours de 1967, l’époque rétro de 1978, l’entrée du Front National sur la scène politique en 1984 et les procès Barbie et Papon.
Cette hésitation de la pensée historique montre bien plus que la domination du court terme: elle révèle pour l’historien le malaise de la France avec son passé. Il s’attache à dévoiler cette «histoire obsédante des Français avec leur passé», «cette complexité de la relation bourreaux-victimes».