Leur pétrole sur notre territoire

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Publié 25/05/2010 par Jean-Luc Bonspiel

Avant le stylo-bille et l’ouvre-boîte, il y de cela un siècle et demi, on aurait lu ces mots à la lumière d’une lampe à huile de baleine ou au camphène (un mélange de térébenthine, d’alcool, et d’huile de camphre). En moins d’une décennie, au cours des années 1860, le kérosène distillé du pétrole ou «huile de roche», déplacerait complètement les divers gras organiques utilisés jusqu’alors pendant des siècles pour l’éclairage intérieur. Et le moteur à combustion interne n’était encore qu’un rêve lointain.

Entamant sa carrière comme il entendait la poursuivre, le pétrole connut un succès fulgurant aux États-Unis grâce à une taxation préférentielle, faisant de lui le produit le moins dispendieux de sa catégorie. On le préférait aussi aux huiles organiques parce qu’il n’encrassait pas les mèches, causait moins de fumée et se consommait moins rapidement.

Le pétrole apparaît à une période où les grands cartels (acier, chemin de fer, etc.) font la pluie et le beau temps, monopolisant de vastes secteurs des industries lourdes naissantes. L’absence de réglementation permettait le contrôle lucratif de toute la chaîne de distribution d’un produit, de l’extraction de la matière première jusqu’au consommateur en bout de ligne.

John D. Rockefeller, dieu et maître de la Standard Oil, était si totalement sous le charme de Mammon qu’il a même étudié le nombre minimum de points de soudure nécessaire pour sceller une boîte de lubrifiant. Il avait appris ce que les banquiers du XXe siècle apprendront à notre détriment collectif: même le plus infime profit peut devenir significatif lorsque suffisamment amplifié. Les fractions de cents, multipliées par millions, deviennent-elles même des millions.

Donnez-moi un levier et un point d’appui, disait Archimède, et je soulèverai le monde.

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C’est arrivé tout près d’ici

C’est dans les environs du petit village ontarien de Petrolia, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Sarnia, que James Miller Williams entreprit de produire des distillats du goudron localement disponibles dès 1857. Pendant l’été de l’année suivante, il libéra un dépôt souterrain de pétrole sous pression en creusant un puits, donnant naissance à l’industrie pétrolière.

Pourquoi tolérons-nous que des milliards découlant de l’exploitation de nos ressources pétrolières nous soient subtilisés par des milliardaires simplement parce qu’ils ont accès à des milliards? Pourquoi ainsi sacrifier notre sécurité économique et énergétique à des vampires qui ont prouvé leur mépris pour l’humanité et la terre, comme en témoignent d’immenses superficies dévastées au Nigeria, en Alberta, et au fond du Golfe du Mexique?

Si cette richesse doit profiter à quelqu’un, pourquoi pas les nôtres? Même si les profits d’un bien nationalisé sont dissipés en salaires élevés, contrats gonflés, et émoluments divers, ceux-ci sont généralement distribués au pays. Et un salaire, c’est à dire de l’argent gagné à la sueur de son front, c’est généralement taxé à un taux supérieur que le dividende empoché sans effort par le rentier.

L’exemple québécois

La nationalisation de l’hydroélectricité a grossi le trésor public québécois de millions annuellement qui ont servi l’intérêt collectif, tel que conçu par les décideurs élus. Ce qui est quand même plus démocratique que les tyrannies absolutistes que sont les méga-firmes transnationales, qui n’ont des comptes à rendre qu’à leurs actionnaires.

L’amoralisme actif de ces entités est mise à jour chaque fois qu’un fabricant de pilules séduit un médecin en lui faisant prescrire des médicaments à ses patients bien portants ou qu’un constructeur décide d’indemniser les héritiers des victimes plutôt que de rendre son produit sécuritaire.

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Vengeance et représailles

L’Iraq s’est fait voler son pétrole deux fois en moins d’un siècle. La première fois, c’était à la chute de l’Empire ottoman, dans une de ces guerres régionales dans la série qui a immédiatement suivi celle qui avait mis un terme à toutes les autres (1914-18). C’est au cours de cette guerre pour voler le pétrole de l’Iraq que Winston Churchill avait approuvé l’usage de gaz asphyxiant sur les civils kurdes, six décennies avant Sadam, sous prétexte que cela inspirerait une bienfaisante terreur à ce peuple barbare.

Kermit Roosevelt, neveu du président et mandataire de la CIA, a orchestré le coup d’État qui a remis un Shah sur le trône du paon en Iran parce que le premier ministre iranien Mossadegh avait osé nationaliser son industrie pétrolière.

Ex-propriétaires d’un pays

Mais il est peu probable que nous descendions aussi bas dans l’estimation des Yankees que l’est Cuba, cet exemple de désobéissance à la doctrine Monroe dont l’existence même est ressentie par les Américains comme une atteinte satanique à l’accomplissement de leur destinée manifeste.

Alors, pourquoi donner notre ressource à des entités si puissantes qu’elles réussissent à payer des amendes symboliques où d’autres écoperaient de réclusions à perpétuité? D’aucuns affirmeront que la question se répond elle-même.

Depuis la guerre de 1812, les voisins septentrionaux de l’Oncle Sam doivent leur liberté apparente à une politique de complaisance où nos intérêts coïncident presque miraculeusement avec ceux du géant américain.

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Nous sommes les ex-propriétaires évincés d’un grand pays, engagés pour l’administrer au profit d’intérêts économiques étrangers. En échange, les américains nous foutent la paix au lieu de nous envoyer les marines, comme au Nicaragua.

Les profits générés par notre industrie pétrolière grossissent des fortunes privées presque exclusivement étrangères. Est-ce que cette hémorragie d’or noir irremplaçable est le prix de notre quiétude, la protection que nous devons payer au caïd régional pour éviter les accidents les plus regrettables? Vaut-il mieux vivre à genoux sur des coussins douillets ou debout sur des jambes régulièrement refracturées?

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