Au milieu des années 1980, Selvandieu a dû quitter son île en catimini pour échapper au pire, laissant derrière lui sa compagne Gloria et leurs deux bambins. Aujourd’hui son fils et sa fille ont 17 et 19 ans. Il est trop tard pour parrainer l’ainée qui a quitté les bancs de l’école depuis quatre ans; Cristelle vend les œufs des quelques poules de Gloria au marché public de la commune de Croix-des-Bouquets, au nord-est de Port-au-Prince.
Entre temps Selvandieu a traversé le chaos. Il a beaucoup galéré ces dernières années depuis son arrivée à Montréal puis sa relocalisation à Toronto. D’un job à un autre, d’un appart à un autre, d’une amante à une autre, jusqu’à ce qu’il obtienne enfin la résidence permanente suite à sa requête de demandeur d’asile.
Il est maintenant prêt à faire venir son fils cadet au Canada. Il a relégué Gloria au fond de ses souvenirs; une autre femme occupe sa vie depuis cinq ans. Geraldy rejoint son père en 1999; il quitte sa mère et sa sœur avec grand chagrin; elles sont tout ce qu’il a sur cette terre. En 2000, la vie à Port-au-Prince est très ardue pour les moins nantis, d’autant plus pour les mères et filles célibataires.
Elles sont nombreuses ces femmes seules, jeunes et moins jeunes, se débrouillant au jour le jour pour assurer leur survie et celle de leur progéniture. Les bons emplois bien payés sont rarissimes. Il faut générer son propre revenu au quotidien. On vend tout ce que l’on peut sur la rue sous un soleil de plomb. Chaque jour une multitude de petits commerces se réinventent en plein air aux quatre coins de la capitale surpeuplée.
Durant presque deux décennies, Gloria est restée fidèle à son conjoint, espérant son retour. Le cœur chaviré elle a regardé partir son fils, mais conservant l’espoir d’un avenir meilleur pour les siens. Gloria est une femme courageuse et fervente.