Les truffes

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Publié 24/02/2009 par Pierre Léon

L’acception la plus connue aujourd’hui du mot truffe est métaphorique et désigne souvent une boule de chocolat qui ressemble au champignon portant ce nom. Ça peut être très bon mais ce n’est rien à côté de la vraie truffe, ce tubercule au parfum divin. Qui n’en a jamais senti et mangé ne sait pas ce qu’est le paradis en gastronomie.

L’homme de la Préhistoire, en France, habitait les grottes du Périgord, région où croît la melanosporum, reine des truffes. Il a bien dû en humer le parfum, si puissant qu’il fait disparaître l’herbe au-dessus de lui.

On appelle cela des «brûlés», qui sont les premiers indices de la présence d’une truffe. Il y en a parfois un autre, une mouche qui tourne autour. Mais pour plus de sûreté, un cochon vous détectera une truffe sans peine.

Autrefois, les paysans mettaient une muselière à l’animal et le menaient en laisse dans le champ de truffes. Dès qu’il en avait reniflé une, il se ruait sur l’endroit et fouillait le sol du groin avec frénésie, tellement il est gourmand de la chose. Malgré la muselière, il réussissait souvent à saisir sa proie avant qu’on ait pu la lui faire lâcher, d’un petit coup de gourdin sur le groin.

Je suis originaire de la région de Touraine, aux confins du Poitou. Le sol des coteaux est crayeux et, comme en Périgord, avec un dosage de 20% de calcaire, idéal pour la truffe. Rabelais, qui est du coin et amateur de bonne chair n’en parle point. Peut-être y avait-il encore à son époque, le préjugé d’un champignon du diable, noir, mystérieux, croissant sous terre et passant pour aphrodisiaque puissant.

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Ce dernier trait aurait dû plaire pourtant à l’auteur de Gargantua. François Ier, lui, connut la truffe. Peut-être d’abord en Italie, où elle est blanche, et s’en régala. Napoléon en consomma sur la recommandation d’un de ses grenadiers qui avait une solide réputation de faire des enfants partout où il passait. L’Empereur, qui ne pouvait pas avoir de progéniture, suivi le conseil de son soldat et se nourrit de truffes. Le futur Roi de Rome en fut le résultat immédiat, dit-on.

En 1914, on vendait 20 tonnes de truffes par an au marché de Richelieu, en Touraine, au seuil du Poitou. La guerre venue, tous les hommes jeunes et valides furent mobilisés et la plupart ne revinrent jamais de la tuerie gigantesque. Les femmes, restées seules et, moins robustes que les hommes, ne pouvaient pas maîtriser le goret chercheur de truffes. Leur présence sur les marchés disparut rapidement.

Ce n’est que vers les années 60 que l’on recommence à parler des truffes. L’INRA (Institut National de Recherche en Agriculture) s’était mis à en expérimenter la culture. J’ai acheté, il y a quelque trente ans une vingtaine de plants de chênes et une centaine de noisetiers, mycorhizés par cet Institut et les ai plantés. Chaque plant, de 20cm, avait eu pendant un an ses racines au contact de truffe et allait en produire après contamination.

Quinze ans plus tard j’avais déjà un beau petit bois et constatai que, contrairement à ce qu’on croit, les chênes poussent relativement vite. Les truffes ont commencé à donner mais elles étaient petites et de mauvaise qualité – de la brumale – sans grand parfum. J’ai eu un jour la surprise d’une lettre d’excuses de l’INRA, adressée à tous ceux qui, comme moi, avaient tenté l’expérience à la même époque.

Les plants étaient mauvais et l’Institut me proposait de remplacer tous mes arbres, qui avaient alors entre 20 et 30 mètres de haut, par de nouveau plans. Il suffisait que j’arrache tout, nettoie le terrain, et on me faisait cadeau de nouveaux plants! J’ai bien entendu refusé, trop heureux d’avoir eu le prétexte d’un charmant petit bois, plein d’oiseaux. Je m’étais toujours dit que planter des arbres me ferait peut-être un jour, pardonner d’avoir dépensé tant de papier dans ma vie.

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Comme je suis tenace, j’ai replanté ailleurs soixante chênes du Midi, il y a dix ans et j’ai eu, cette année, l’heureuse surprise de belles et bonnes truffes! On ne les chasse plus avec un cochon mais à l’aide d’un petit chien – les meilleurs sont les ratiers – à qui on a appris un réflexe pavlovien.

Notons au passage qu’on appelle aussi métaphoriquement truffe, le nez du chien. On lui fait sentir une truffe, qu’on enterre et quand il l’a trouvée on le récompense d’un bout de biscuit ou de gruyère. Et d’une caresse. Et d’un compliment! Et il repart, le nez au ras du sol , encouragé par la petite chanson que lui improvise son maître ou sa maîtresse: «Où c’est qu’elle est la truffe, la petite truffe, la jolie petite truffe? Où c’est qu’elle est la belle, ô la belle, où c’est qu’elle est? Ô qu’elle est belle!»

C’est un bien joli spectacle que de voir le chien tomber en arrêt et se mettre à gratter vivement d’une patte l’endroit où vous allez déterrer, avec votre petite pioche, une belle truffe!

Il n’y aura plus qu’à la laver, la brosser et elle vous fera une délicieuse omelette ou brouillade. Et si vous voulez faire des économies, sachez qu’une truffe qui a passé une nuit dans un panier d’œufs leur a communiqué sa sublime senteur ! Et puis, comme hors d’œuvre, je vous suggère un canapé beurré sur lequel vous râpez de la truffe fraîche.

Cela peut se faire aussi avec un canapé de foie gras! Inutile de vous rappeler également tous les pâtés et les viandes rôties qu’on peut parfumer avec ce merveilleux champignon que les Grecs et les Romains adoraient aussi.

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Le côté triste est que le Canada vous interdit d’apporter la moindre truffe. Même pour vous y faire goûter! Alors, laissera-t-on la médiocre truffe chinoise venir sur les marchés de Toronto? Autre histoire…

Quant à la recette du Globe and Mail (11.02.09) de la crème glacée à la truffe, c’est une hérésie du même genre que la glace japonaise à la sardine!

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