Les sophismes d’un sénateur conservateur

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Publié 14/12/2010 par Gérard Lévesque

«Le projet de loi C-232… priverait un Canadien unilingue … du droit de servir cette institution (la Cour suprême) et de servir sa nation…»

«Je suis particulièrement déçu et perturbé par la décision du commissaire aux langues officielles d’exercer des pressions pour l’adoption d’une loi qui impose le bilinguisme et prive les candidats aux postes de juge à la Cour suprême du Canada de leurs droits linguistiques. Je me demande même de quel droit le commissaire peut se servir de son poste de mandataire du Parlement pour appuyer un projet de loi qui va si clairement à l’encontre des principes sous-tendant la Loi sur les langues officielles et à l’encontre des droits constitutionnels des Canadiens…»

«Selon moi, le commissaire a tort et outrepasse son mandat lorsqu’il souhaite retirer à des gens le privilège de servir leur pays. Je suggère que le commissaire justifie publiquement comment et en vertu de quel mandat il ose utiliser les pouvoirs et les ressources considérables du Commissariat aux langues officielles pour exercer des pressions en vue de faire adopter des politiques de bilinguisme qui outrepassent clairement son mandat… Je voudrais m’adresser aux francophones du Canada qui ne devraient pas se laisser berner par ce genre de projet de loi qui leur enlève des droits… je ne m’associerai jamais à un projet de loi qui aura pour but de forcer nos Canadiens à apprendre une deuxième langue afin de pouvoir servir leur pays.»

C’est par ces propos surprenants, prononcés le 7 décembre dernier, que le sénateur Gérald Comeau justifie son opposition au projet de loi C-232 déjà adopté par la Chambre des communes.

Ce projet de loi vise à modifier la Loi sur la Cour suprême en créant une nouvelle condition de nomination des juges au plus haut tribunal du pays: dorénavant, les personnes nommées devront comprendre le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète.

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Le raisonnement du sénateur laisse entendre qu’on ne pourrait pas rehausser les exigences de la compétence requise pour être nommé à tout poste de l’administration publique parce que cela enlèverait aux candidats qui rencontraient les précédents critères inférieurs un droit acquis de postuler.

Ainsi, si on cherche à doter un poste de médecin, on ne pourrait exiger un niveau de compétence incluant les toutes dernières découvertes de la médecine sous prétexte que cette exigence plus élevée exclurait les médecins qui ne maîtrisent pas encore ces nouvelles découvertes.

Et si la nouvelle exigence signifie une compétence linguistique supérieure à celle exigée auparavant, cela ne serait pas acceptable puisqu’il existerait pour un unilingue un droit à l’ignorance d’une langue officielle qu’il faudrait protéger au détriment de l’évolution de la société. S’il existe vraiment, pour un unilingue, un droit inaliénable d’occuper un des neuf sièges de la Cour suprême, il est urgent de débattre comment ce droit pourrait être réconcilié avec nos droits linguistiques constitutionnels.

Un juriste qui s’exprime en Cour suprême dans une langue autre que le français ou l’anglais est compris par l’entremise de l’interprétation simultanée.

Prétendre qu’il est acceptable qu’un juge de la Cour suprême puisse comprendre, par un interprète, une plaidoirie présentée en français, c’est entre autres promouvoir une violation du statut constitutionnel d’égalité que la langue française partage avec la langue anglaise. C’est considérer le français comme une langue étrangère.

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Si la dualité linguistique est une des valeurs canadiennes les plus fondamentales, les sénateurs doivent en tenir compte. Dans une majorité de juridictions au Canada, les langues de la législation sont le français et l’anglais.

Les juristes qui comprennent ces deux langues officielles ont plus que des connaissances linguistiques.

Ils ont une compréhension du droit exprimé en français et du droit exprimé en anglais, puisque ces textes législatifs ont valeur égale dans l’une et l’autre de ces deux langues.

La compréhension de ces deux langues est donc un pré-requis à une nomination à l’un des neuf postes de juges de la Cour suprême. Autrement, la personne n’est pas compétente pour occuper cette fonction.Les propos du sénateur Comeau reflètent une méconnaissance profonde des droits linguistiques. Il n’est malheureusement pas le seul membre du Sénat à penser que l’unilinguisme des uns justifie la négation des droits linguistiques des autres.

À mon avis, le sénateur Comeau a fait, à son insu, la démonstration de la nécessité que le projet C-232 soit étudié le plus tôt possible par un Comité sénatorial et que le premier témoin à y comparaître soit le commissaire Graham Fraser.

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Texte intégral des propos prononcés par le sénateur Comeau

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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