Les racailles de Paris

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Publié 22/11/2005 par Philippe Bernier Arcand

Les violences urbaines des dernières semaines dans la banlieue de Paris et certains quartiers des principales villes de France ne sont pas seulement l’œuvre de quelques délinquants que certains appellent les racailles. Dans les débris des voitures calcinées il y a aussi le cri d’une génération perdue et exclue.

Il faut être aveugle pour ne pas s’apercevoir que dans nos démocraties de pays industrialisés existent des couches de la population qui se retrouvent marginalisées. Il serait faux de croire que la France, au cours des dernières années, n’a fait aucun effort pour favoriser l’intégration des minorités, la cohésion sociale ou même la «promotion de l’égalité des chances» comme elle a nommé un de ses ministères.

L’exclusion est un phénomène mondial et aucune grande ville de la planète n’est à l’abri des récentes émeutes qu’a vécu Paris. «Je suis une racaille» a-t-on envie de dire pour paraphraser le fameux «Ich bin ein Berliner» de John Fitzgerald Kennedy.

On est fier d’être racaille comme on était fier d’être punk. Dans les années 1970-80, le mouvement punk a donné une raison de vivre à de jeunes exclus qui n’avaient devant eux que le «no future». Ils ne se battaient pas pour une cause, ils n’avaient aucune revendication, ils portaient des épingles à couche en guise de bijoux, se coiffaient en Mohawk et inventaient un nouveau style musical.

Aujourd’hui la mode et la musique ne sont plus les mêmes chez les jeunes exclus, mais ils voient leur avenir de la même façon. Il n’y a aucune cause ou revendication derrière leurs gestes de vandalisme et de violence. Rien, et voilà ce qui est tragique. Ils ont perdu tout espoir en un avenir meilleur et ont cessé de rêver.

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Ils sont issus d’une génération provenant d’une couche de la population française qui est victime d’une blessure sociale, se sentant socialement inférieure. Ils sont humiliés de ne pas pouvoir aspirer aux mêmes emplois que les autres Français de leur génération, de ne pas pouvoir sortir dans les mêmes boîtes de nuit, de ne pas pouvoir draguer les mêmes filles, de ne pas pouvoir rêver aux mêmes rêves.

Lorsque l’on a la profonde conviction de ne pas avoir d’avenir devant soi, qu’on arrive plus à rêver, on a peur de rien et on se fout de tout. Et on a la rage surtout. La rage de briser le vide et l’ennui du quotidien en faisant peur aux passants. La rage d’exister en brûlant des voitures pour pouvoir passer à la télé. La rage de vivre plutôt que de se laisser tranquillement mourir.

Quand toutes les portes se referment devant soi, celles des employeurs comme celles des discothèques, on a envie de tout casser. Tout casser n’ouvrira aucune porte mais on avait de toute façon perdu l’espoir de pouvoir les ouvrir. Et puis, l’on se dit que l’on n’a rien à perdre puisque que l’on n’a rien et que l’on sait que l’on n’a jamais rien eu et que l’on n’aura jamais rien.

Aucune voiture brûlée et aucun immeuble vandalisé n’améliorera le sort de ces jeunes exclus. Et aucune condamnation, aussi exemplaire soit-elle, n’apaisera chez ces jeunes la rage de vouloir un avenir meilleur. On peut réussir à calmer certains quartiers par la force mais si l’on ne réussit pas à donner l’espoir et l’envie de rêver à des jeunes qui se croient sans avenir, ces banlieues resteront de véritables cocottes-minute.

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