Les «Québécois» en tant que «nation»: où se situent les francophones du reste du Canada?

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Publié 05/12/2006 par Magdaline Boutros

Les Québécois forment une nation nous dit Stephen Harper et une majorité de députés de la Chambre des communes. Mais après avoir habilement damé le pion au Bloc québécois et tourné au ridicule les déchirements internes au Parti libéral, Stephen Harper semble avoir bien malgré lui relancé de plus bel le débat sur l’identité québécoise. Et par ricochet sur l’identité canadienne-française.

Au-delà des interminables questionnements sur la portée politique et symbolique du terme «nation», c’est l’utilisation du mot «Québécois» dans la version française et anglaise de la motion qui donne des maux de tête aux politiciens. Qui désigne-t-il? Les Québécois sont-ils définis par un territoire, une langue, une culture, une histoire ou encore un sentiment d’appartenance? Bref, dans notre statut de francophones hors-Québec, sommes-nous inclus dans cette définition de la nation québécoise? Certains disent oui, d’autres non.

Mais une chose est claire: la motion conservatrice sème le doute. Et les ministres du gouvernement Harper sont bien loin de nous aider à faire la lumière dans tout ça.

Après avoir remis en question la nature inclusive de la nation québécoise en conférence de presse la semaine dernière, Lawrence Cannon a tenté de se rattraper et de clarifier sa vision de la nation québécoise dans une lettre ouverte publiée dans La Presse vendredi dernier. Le ministre conservateur y écrit que «le terme ‘‘Québécois’’ englobe tous ceux qui partagent ou comprennent la volonté de préserver et faire rayonner une langue, une culture et une histoire commune».

La notion de territorialité y est exclue au profit des éléments linguistique, culturel et historique. Des composantes identitaires que les «Canadiens-français» partagent avec les «Québécois». Il serait donc légitime de croire que les francophones du pays seraient inclus dans cette définition. Pourquoi alors avoir utilisé le terme Québécois plutôt que francophones ou Canadiens-français, des terminologies qui étaient jusque-là privilégiées par le gouvernement fédéral?

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Des questions qui restent encore sans réponse. La ministre de la Francophonie et des Langues officielles Josée Verner a mis son grain de sel dans le débat en affirmant la semaine dernière que le terme «Québécois» englobait «tous ceux qui se sentent interpellés». Une définition encore vague, qui s’ajoutent aux nombreuses interprétations sur la question. Les deux ministres conservateurs ont toutefois refusé de clarifier leur vision à L’Express.

Une interprétation non partagée

Cette interprétation de l’identité québécoise est contestée par l’ensemble des trois partis politiques de l’Assemblée nationale du Québec. Tant pour le Parti libéral du Québec, le Parti québécois et l’Action démocratique du Québec, il est clair que l’élément de territorialité joue un rôle central et incontestable dans la définition de la nation québécoise.

«Ce que nous voulons traduire par ‘’nation québécoise’’ est qu’il y a une société en Amérique du Nord qui est la seule société où les francophones sont majoritaires. Donc forcément le territoire prend une signification tout à fait particulière», fait valoir en entrevue Benoît Pelletier, ministre québécois responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne.

Une interprétation qui laisse plusieurs porte-parole de la francophonie canadienne perplexes. «Je suis heureuse que le Québec soit reconnu comme nation, mais ça soulève évidemment beaucoup de questions. Où se situe-t-on dans tout ça? On semble ignorer notre existence», résume Mariette Carrier-Fraser, présidente de l’Assemblée de la francophonie ontarienne (AFO).

Une position qu’elle considère d’autant plus étonnante, considérant les récentes démonstrations d’engagement du gouvernement québécois envers les francophones hors Québec.

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Mais l’un n’empêche pas l’autre, croit Benoît Pelletier. «Nous recherchons la reconnaissance de la nation québécoise depuis plusieurs années. Personne n’a revendiqué une reconnaissance de la nation canadienne-française en soit. Et je pense qu’il y a plutôt lieu de s’en réjouir. C’est bon pour la langue française qu’il y ait un pôle central qui soit le Québec et qui soit reconnu comme étant une nation.»

Où est notre place?

Pour Jean-Guy Rioux, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), la reconnaissance de la nation québécoise relance inévitablement la question de la place des minorités au sein du Canada.

«Nous avons toujours reconnu à la société québécoise le droit de définir de quelle manière elle se perçoit et il est surtout tout à fait légitime que le gouvernement fédéral reconnaisse cette définition. Cependant, cette reconnaissance doit aller de pair avec une vision d’ensemble du Canada, qui comprend toutes les composantes de notre pays.»

Mais pour les députés du gouvernement québécois, il est clair que cette reconnaissance – symbolique – ne changera en rien le statut des communautés francophones. «Je comprends le désarroi et les questionnements des francophones hors Québec en voyant que le gouvernement fédéral change comme ça son fusil d’épaule par rapport aux francophones, explique Jonathan Valois, député péquiste et critique en matière d’Affaires intergouvernementales canadiennes. Mais pour nous, le fédéral vient tout simplement de s’ajuster à une identité qui existait déjà au Québec. Jusqu’à maintenant cette existence de la nation québécoise ne nous a pas empêchés d’avoir des relations avec les francophones hors-Québec et ça ne changera pas plus maintenant que le fédéral nous reconnaît.»

Les jeunes Québécois s’identifient depuis plusieurs générations à la société pluraliste québécoise plutôt qu’à la grande famille francophone canadienne, fait-il valoir. «C’est comme si le gouvernement fédéral venait de découvrir que la Terre est ronde!»

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Une reconnaissance qui ne constitue en rien un rejet ni un manque de solidarité, ajoute Vivian Barbot, députée bloquiste à la Chambre des communes.

Une motion sans dents

À l’origine de ce débat sémantique se trouve la fameuse version anglaise de la motion conservatrice qui stipule que «the Quebecois form a nation within a united Canada». L’utilisation du terme «Quebecois» plutôt que «Quebeckers» résulte d’une décision pensée et délibérée du gouvernement Harper. Pour plusieurs analystes, l’utilisation du terme «Quebecois» ferait référence aux descendants des premiers colons français, alors que «Quebeckers» ferait référence à tous les habitants du Québec.

Mais au bout du compte, il n’est question ici que d’une motion purement symbolique, qui n’a aucun pouvoir politique ou constitutionnel. «Mais le problème c’est que ça va raviver le débat sur le statut du Québec et ça c’est plus inquiétant pour les francophones hors Québec puisque dans ce type de débat, tout le monde se comporte comme si il y avait uniquement des francophones au Québec. La résolution n’est pas dangereuse en tant que telle, mais le débat qui est inutilement ravivé, ça c’est plus inquiétant», conclut Laure Paquette, politologue à l’Université Lakehead à Thunder Bay.

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