Les Premières Nations, dernières préoccupations?

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Publié 08/06/2015 par Arielle Bossuyt

À la lueur du solstice d’été, les Premières Nations célèbrent leur culture le 21 juin, lors de la fête nationale des peuples autochtones avec, cette année, une cérémonie du Soleil sur la place de l’Hôtel de Ville de Toronto, des manifestations artistiques et quelques débats pour raconter leur histoire souvent douloureuse.

Un pan de cette histoire fait l’objet d’un récent rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui qualifie de «génocide culturel» le traitement des enfants ôtés à leurs parents par le gouvernement fédéral et (ré)éduqués dans des pensionnats religieux.

Entre fascination et oppression, les relations canadiennes avec les Premières Nations sont très mitigées.

Au cours du XIXe siècle, les deux peuples concluent une série de traités reconnaissant que les Amérindiens forment une nation indépendante. Les Canadiens leur promettent alors les moyens de se développer par l’éducation, de meilleures conditions sanitaires ainsi qu’un partage de ressources en échange de territoires.

Cependant, dès 1876, la loi sur les réserves indiennes est adoptée et le gouvernement canadien réduit considérablement les territoires autochtones. «Mes ancêtres n’ont pas vendu nos terres pour rien. On aurait dû avoir accès à l’éducation et aux soins. Les promesses auraient dû être tenues et nous attendons toujours», déclare Rozella Johnston, responsable au service culturel du Native Centre de Toronto au 16 Spadina Road.

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Chômage

Aujourd’hui, le chômage dans les réserves est alarmant puisqu’il touche 80% de la population, et le taux de suicide des jeunes est l’un des plus hauts du monde.

À l’écart du développement national, ils sont ces voisins oubliés auxquels on aurait tout pris. «Beaucoup de réserves sont établies sur des terres riches en ressources naturelles comme le pétrole. Cependant, nous ne pouvons pas les utiliser par manque d’argent et d’instruction. Ce sont les compagnies canadiennes qui se servent, ne respectant pas le principe de partage défendu par les traités», explique le chef ontarien de l’Assemblée des Premières Nations, Stan Beardy, originaire de la réserve de Bearskin Lake.

«Là bas, c’est la brousse», dit-il. «Il n’y a ni eau courante, ni électricité, ni emploi, mais j’ai eu la chance d’étudier à l’école secondaire à Thunder Bay: c’était la première fois que je voyais la ville!»

À l’âge de 20 ans, il est élu chef de Muskrat Dam, qu’il sert pendant 10 ans. «On a installé des poteaux électriques et l’eau courante. J’ai voulu mettre mon savoir acquis au service de ma communauté», explique-t-il.

Aujourd’hui, 40% des Autochtones vivent dans les réserves et 60% en milieu urbain, un chiffre qui évolue depuis 1990, lorsque la population des réserves a augmenté sans que leur développement matériel suive. Beaucoup n’ont alors d’autres perspectives que de quitter leur terre natale et venir en ville.

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Une culture qui s’affirme

En huron, Toronto signifie «lieu de rencontre» et porte toujours bien son nom, étant donné le nombre de communautés que la ville accueille. Aujourd’hui, Toronto regroupe 70 000 Amérindiens qui, en venant des réserves à la ville, subissent un choc culturel parfois rude.

Une douzaine d’établissements, comme le Native Centre ou le Native Child and Family Centre, ont vu le jour à Toronto afin de les aider à s’intégrer. «20% des sans-abris se trouvent être des Autochtones. En relation avec ces centres, nous nous efforçons de répondre aux problèmes de logement, d’emploi et aussi d’addictions qui les touchent», explique Mae Maracle, consultante au département d’équité, de diversités et des droits de la personne à la Ville de Toronto.

Au Native Centre, les traditions reprennent vie avec la pratique de la danse traditionnelle powwow, la «regalia», c’est-à-dire le costume de cérémonie, et l’apprentissage des langues indigènes comme l’ojibwa. C’est une façon de préserver la spiritualité des nouvelles générations qui tendent à s’urbaniser.

Au Anishnawbe Health Centre, rue Queen près de Sherbourne, les maladies et troubles psychologiques sont traités avec des remèdes traditionnels, s’appuyant sur les bienfaits de la nature. Ainsi, tous les mois, sont organisées des cérémonies spirituelles. «Notre culture est très attachée à l’environnement: nous considérons la Terre comme notre mère. Nous respectons tout ce qui la constitue comme l’eau, source de vie», explique Laurie, fidèle à ces cérémonies.

Ainsi, en 2009, lorsque le gouvernement décide de remanier la Loi de 1886 sur la protection des eaux navigables, les Premières Nations et d’autres communautés se sont indignées et ont défendu leur environnement qu’ils estimaient en danger. La loi est finalement entrée en vigueur le 1er avril 2014 et la construction d’une station de déchets nucléaires sur le lac Huron est sur le point d’être lancée.

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Les chefs, dont Stan Beardy, incitent le gouvernement fédéral à respecter les traités et portent les problèmes des communautés amérindiennes à l’échelle nationale. «En s’attaquant à l’environnement, c’est notre culture qu’on atteint. Nous n’avons plus honte de la défendre. Le temps est venu de rétablir notre histoire et de reconstruire notre identité», croit-il.

Des blessures à guérir

En hommage aux victimes des pensionnats, six descendants des Premières Nations, Patrick, Patrick Junior, Frances, Maurse, Remi et Daren ont entrepris, fin avril, une marche depuis Timmins pour rejoindre Ottawa le 31 mai où se tenait l’événement Vérité et Réconciliation.

Ce n’est pas seulement «l’autochtone» qui a été brisé, mais l’individu même. «Nous faisions tout pour oublier ce qu’on nous avait fait par l’alcool, la drogue etc… Nos traumatismes se sont répercutés sur notre famille: le mal s’est étendu sur plusieurs générations», explique Patrick, qui a passé 6 ans dans ces pensionnats.

Désormais, il n’est plus question d’oublier mais justement de rétablir la vérité. Ainsi, même si beaucoup d’anciens pensionnaires n’osent partager leur expérience, ces marcheurs espèrent que ce long pèlerinage de 1800 kilomètres marquera le début d’un changement, bien que les blessures soient encore ouvertes – le dernier pensionnat n’ayant fermé qu’en 1997.

Ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement canadien, en la personne du premier ministre Stephen Harper, a présenté des excuses officielles aux peuples autochtones.

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Les relations canadiennes et amérindiennes sont encore délicates. À Toronto, Rozella, du Native Centre, intervient dans les écoles pour raconter leur histoire.

Les Jeux PanAm offrent une belle occasion de renouer avec les Premières Nations et de montrer le meilleur de leur culture. C’est sur la plate-forme du Native Centre, que la flamme des jeux s’allumera le 10 juillet: une plate-forme symbolique rapprochant les couleurs noire, blanche, jaune et… rouge.

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Trois destinées autochtones à Toronto
«Génocide culturel»

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