Plusieurs politiciens écrivent leurs mémoires, mais peu de bureaucrates s’adonnent au même exercice. Eddie Goldenberg, principal conseiller politique puis chef de cabinet de Jean Chrétien, l’a fait récemment en signant The Way It Works: Inside Ottawa. Ce livre explique comment les choses se passent au sommet de la pyramide gouvernementale, comment le processus de prise de décision est complexe, comment les relations personnelles jouent un rôle clé, comment des événements externes peuvent parfois influer sur le résultat final.
Montréalais d’origine, Eddie Goldenberg est étudiant à la Faculté de droit de l’Université McGill lorsqu’il obtient un emploi d’été, en mai 1972, dans le bureau de Jean Chrétien, ministre des Affaires indiennes. Goldenberg va suivre Chrétien tout au long de sa carrière, soit au Conseil du Trésor, à Industrie et Commerce, aux Finances, à la Justice, à Énergie, Mines et Ressources, au Bureau du chef de l’Opposition et au Bureau du Premier ministre. C’est surtout l’expérience de ses dix années comme conseiller du Premier ministre qui se reflète dans The Way It Works.
De toute évidence, Goldenberg a été témoin des relations entre Jean Chrétien et Paul Martin. Il fournit quelques anecdotes à ce sujet, notant par exemple que Martin avait refusé d’être critique des Finances lorsque les libéraux formèrent l’Opposition officielle, préférant le poste de critique de l’Environnement. Pourquoi? Parce que tout le monde aurait imaginé que le critique des Finances deviendrait un jour ministre des Finances. Or, si tel ne devait pas être le cas, Martin aurait subi une rétrogradation dans l’opinion publique. Il soignait déjà son image de prochain chef du parti.
Devenu Premier ministre, Paul Martin a parfois imposé son candidat libéral dans certaines circonscriptions, une pratique décriée par l’organisation locale. Or, le livre de Goldenberg nous apprend que c’est Jean Chrétien qui a fait amender les règlements du Parti libéral du Canada, en 1992, pour permettre au chef de nommer des candidats au lieu de passer par le processus de mise en nomination.
Un intéressant chapitre porte sur la composition des membres du cabinet. Selon l’auteur, un cabinet doit comprendre à la fois des vieux de la veille, du sang neuf, des gens d’expérience et des vedettes montantes; il doit y avoir un équilibre ethnique, régional et masculin/féminin. Tous les noms proposés sont soumis au Bureau du Conseil privé pour une enquête de sécurité menée par la GRC. Jean Chrétien, lui, demandait à son mentor Mitchell Sharp (ancien ministre des Affaires extérieures) de faire une entrevue avec chaque candidat afin de découvrir s’il n’y avait pas des obstacles à sa nomination (des squelettes dans le placard).