Les mélodies opiacées de Philippe Jaroussky

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Publié 26/05/2009 par Dominique Denis

Avec Opium – Mélodies françaises (Virgin Classics), le Français Philippe Jaroussky mise de toute évidence sur la séduction, pour ne pas dire l’intoxication. De prime abord, l’idée qu’un contre-ténor – ces héritiers non castrés des castrats – choisisse de chanter des mélodies composées au XIXe et XXe siècles peut surprendre, mais cette voix habituée aux ornementations baroques s’approprie avec un remarquable naturel ce répertoire mélodiquement plus dépouillé et harmoniquement plus complexe.

En plaçant le sublime A Chloris de Reynaldo Hahn (1875-1947) en tête de programme, Jaroussky et son pianiste Jérôme Ducros ont vite raison de nos réserves, et les considérations historico-stylistiques cèdent au plaisir purement sensuel que procure cette voix qui n’hésite pas à s’approprier – et à transformer – toutes les musiques qu’elle aime.

A Chloris, composé sur un très ancien poème de Théophile de Viau, c’est beau comme très peu de pièce de ce type le sont: avec sa descente harmonique et son économie de notes, on tient tous les éléments du genre de ballade qui, dans les concours tels Britain’s Got Talent, arrachent des larmes aux plus cyniques des juges.

De là, il convient de zapper quelques pièces qui détonnent par leur stridence guillerette (le Sombrero de Chaminade) pour s’attarder le temps qu’il faut sur l’Élégie de Massenet (où l’on retrouve le violoncelle caressant de Gautier Capuçon) ou L’Automne de Fauré. De tels moments de grâce pure font d’Opium le genre de disque qui, dans l’esprit de son titre, crée une véritable accoutumance.

En fait, le triomphe d’Opium est double: tout en libérant le contre-ténor du strict répertoire baroque, Jaroussky y jette un éclairage complètement neuf sur ce riche répertoire de la mélodie française, nous le rendant à la fois plus ambigu et plus accessible.

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Viennoiseries sans sucre

Permettez-moi un bref retour sur Alexandre da Costa, dont il était question l’autre jour, et dont les Valses et Miniatures de Fritz Kreisler (Octave/Universal) occupent mon esprit et mon lecteur laser depuis que je les ai reçues. Accompagné par l’ensemble Canimex (quel vilain nom!) le violoniste montréalais triomphe dans ce répertoire «grand public» précisément parce qu’il le traite ni comme un concerto de Brahms, ni comme de vulgaires viennoiseries.

Armé d’une poignée de Stradivarius (courtoisie de la société Canimex, justement), da Costa semble avoir compris l’essentiel: si ses pièces ne pouvaient avoir été composées que par – et pour – un violoniste, Kreisler aimait par-dessus tout les mélodies qui faisaient chanter son instrument. Sagement, da Costa se contente de se laisser porter par la musique, sans se complaire dans des excès d’affectation virtuose.

Tandis que d’autres auraient peut-être tenté de se démarquer, il prend plaisir à se fondre à la palette veloutée de l’ensemble à cordes pour lequel on a transcrit ces pièces traditionnellement accompagnées par un piano. Ces exercices «à la manière de» n’en sont que plus convaincants.

On comprend aisément pourquoi, dans un monde où les ventes de disques fondent comme neige au soleil, ces Valses et miniatures aient déjà valu à da Costa des ventes de plus de 20 000 exemplaires…

Les lieder de Lemieux

Quant à la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux, on a pu l’entendre dans un répertoire qui trahit une polyvalence peu commune, allant de Vivaldi à Wagner en passant par Rossini et Debussy – ou, si vous préférez, de la mélodie à l’opéra en passant pas la messe.

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Sur Frauenliebe und-leben, Liederkreis and other songs (Naïve), sa voix onctueuse caresse, une poignée de mélodies de Robert Schumann, qui fut, avec Brahms, Schubert et Hugo Wolf, le plus auguste représentant de l’école du lied allemand.

Outre la présence des deux cycles justement célèbres, Lemieux propose, avec la complicité de son accompagnateur Daniel Blumenthal, quelques-unes de mélodies les plus parfaites du compositeur emporté prématurément par la folie, dont le sublime Der Nussbaum («Le noyer») qui constitua naguère, dans la voix parfaite d’Ellie Ameling, mon entrée personnelle dans l’univers du lied.

Avec son instrument à la rondeur chaleureuse, Lemieux sait tirer parti du principal avantage dont disposent les chanteuses qui ont du coffre lorsqu’elles se penchent sur des confections plus délicates comme le lied: elles ont le loisir de les aborder sans effort apparent, avec un naturel qui nous fait oublier le travail vocal et nous permet de nous concentrer sur les contours sinueux de la mélodie.

En l’écoutant, je ne peux pas m’empêcher de songer à ces saxophonistes au son immense, genre Ben Webster ou Coleman Hawkins, qui caressaient une ballade de leur instrument comme un géant tiendrait un bébé au creux de la main.

Comme entrée en matière dans l’univers de Schumann et de la mélodie allemande en général, on pourrait difficilement imaginer mieux. Il ne nous reste qu’à souhaiter que Marie-Nicole Lemieux offre bientôt à Schubert les mêmes soins.

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