Avec Opium – Mélodies françaises (Virgin Classics), le Français Philippe Jaroussky mise de toute évidence sur la séduction, pour ne pas dire l’intoxication. De prime abord, l’idée qu’un contre-ténor – ces héritiers non castrés des castrats – choisisse de chanter des mélodies composées au XIXe et XXe siècles peut surprendre, mais cette voix habituée aux ornementations baroques s’approprie avec un remarquable naturel ce répertoire mélodiquement plus dépouillé et harmoniquement plus complexe.
En plaçant le sublime A Chloris de Reynaldo Hahn (1875-1947) en tête de programme, Jaroussky et son pianiste Jérôme Ducros ont vite raison de nos réserves, et les considérations historico-stylistiques cèdent au plaisir purement sensuel que procure cette voix qui n’hésite pas à s’approprier – et à transformer – toutes les musiques qu’elle aime.
A Chloris, composé sur un très ancien poème de Théophile de Viau, c’est beau comme très peu de pièce de ce type le sont: avec sa descente harmonique et son économie de notes, on tient tous les éléments du genre de ballade qui, dans les concours tels Britain’s Got Talent, arrachent des larmes aux plus cyniques des juges.
De là, il convient de zapper quelques pièces qui détonnent par leur stridence guillerette (le Sombrero de Chaminade) pour s’attarder le temps qu’il faut sur l’Élégie de Massenet (où l’on retrouve le violoncelle caressant de Gautier Capuçon) ou L’Automne de Fauré. De tels moments de grâce pure font d’Opium le genre de disque qui, dans l’esprit de son titre, crée une véritable accoutumance.
En fait, le triomphe d’Opium est double: tout en libérant le contre-ténor du strict répertoire baroque, Jaroussky y jette un éclairage complètement neuf sur ce riche répertoire de la mélodie française, nous le rendant à la fois plus ambigu et plus accessible.