Les grands desseins d’un petit orchestre

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Publié 14/11/2006 par Dominique Denis

Autant il convient d’admirer les pages moins connues des répertoires baroque et classique que Tafelmusik dépoussière avec intelligence depuis 27 ans (sans parler de leurs nombreuses initiatives de dialogue transculturel), autant il paraît évident que c’est par le truchement de références plus familières que l’orchestre torontois se donne les moyens d’imposer son grand art auprès du plus grand nombre.

Sous la direction de Bruno Weil, Tafelmusik nous livrait l’an dernier de rafraîchissantes lectures des 5e et 6e symphonies de Beethoven (qui se sont valu un prix Juno), nous rappelant que la puissance, dans ce répertoire, n’est pas toujours fonction de l’artillerie déployée.

Et si le monde n’attendait pas fébrilement une nouvelle incursion dans le monde symphonique de Mozart, il fait admettre que Mozart: Symphonies Nos 40 and 41 (Analekta) met en évidence les principales vertus de Tafelmusik: transparence et tonus, et une absence totale de cette rugosité qui peut sembler abrasive aux oreilles habituées à la palette plus veloutée des orchestres coulés dans le moule du XIXe siècle.

En ce sens, l’ensemble se compare avantageusement au plus célèbre Academy of Ancient Music, qui avait pourtant occupé le créneau mozartien en signant une intégrale de ses symphonies.

Dans l’intimité de Brahms

On a décrit Marc-André Hamelin comme «le plus aventureux et probablement le plus courageux des pianistes d’aujourd’hui», pour sa façon de mettre son talent incommensurable au service de compositeurs qui, sans être toujours difficiles d’accès, ne peuvent pas non plus être qualifiés de «grand public».

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Il peut donc sembler étonnant qu’en marge de ses enregistrements consacrés à Kapustin, Alkan, Dukas ou Busoni, le pianiste québécois ait maintenant choisi de se pencher sur les quatuors avec piano de Brahms, lequel n’a jamais fait figure d’iconoclaste.

Mais Hamelin n’est pas du genre à aborder une partition, soit-elle familière ou obscure, s’il n’a pas le sentiment d’avoir une perspective neuve ou personnelle à formuler. Avec la complicité du Leopold String Trio, un excellent jeune ensemble britannique, Brahms: The Piano Quartets (Hyperion/SRI) se démarque d’emblée des célèbres versions de Rubinstein ou de Peraiah, apportant passion et rigueur à ces œuvres de chambre à l’architecture quasi-symphonique.

Tout en abordant les mouvements lents avec le souci d’en exprimer toutes les nuances, les quatre instrumentistes mordent dans les passages casse-cou avec un plaisir parfaitement maîtrisé (le rondeau à la tzigane du premier quatuor, une des pages les plus fougueuses du répertoire -brahmsien, est ici rendu avec une précision qui laisse bouche bée.)

Comble de bonheur, Hamelin a choisi de clore le second CD par une lecture toute en tendresse des trois Intermezzi, opus 117, laissant espérer qu’il choisira de prolonger son séjour dans l’univers du compositeur, le temps d’explorer l’ensemble de son œuvre pour piano solo.

La magie measha

Décidément, Measha Bruegger-gosman, l’imprononçable – et désormais incontournable – soprano canadienne, nous entraîne d’émerveillement en émerveillement.

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La plus médiatique des étoiles montantes de la scène lyrique canadienne s’impose de façon impériale, avec Extase (Disques SRC), dans le répertoire de Berlioz et de Massenet.

Rivalisant d’emblée avec les grandes interprètes (Janet Baker, Régine Crespin, Jessey Norman) qui ont su percer le mystère des Nuits d’été, chef d’œuvre d’un Berlioz à des lieues des grands déploiements de la Symphonie Fantastique, Measha se montre digne des attentes qu’impose cette œuvre magistralement orchestrée, frisant le miraculeux sur Le spectre de la rose, ce pour quoi elle bénéficie de l’appui très sensible de l’Orchestre symphonique de Québec, et d’un qualité d’enregistrement qui accentue le caractère mystérieux de ces poèmes de Théophile Gauthier.

Et le jumelage très inspiré de Berlioz et Massenet donne lieu à un programme 100 % français… et 100 % extatique.

Traité d’américanitude

On a décrit certaines des œuvres orchestrales de Charles Ives (1874-1954) comme étant «cocasses quoique profondément poétiques».

Il semble que toute la démarche du compositeur américain est marquée de telles dualités: regardant simultanément vers le passé et l’avenir (par son adaptation audacieuse de mélodies apprises des hymn books et des chansons de la Guerre de Sécession), Ives crée une œuvre déroutante à partir de repères identifiables, revendiquant une vigoureuse «américanitude» en marge des principaux courants esthétiques de la première moitié du XXe siècle.

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Charles Ives: String Quartets (Naxos) reflète ces dialectiques dans un cadre intimiste. Le premier quatuor, From The Salvation Army, une œuvre de jeunesse au charme naïf et pieux, pourrait aisément servir de bande-son à un documentaire de PBS sur l’Amérique pré-industrielle.

Quant au second, composé en 1911-1913 et truffé de citations contrastantes (I Wish I Was In Dixie y côtoie l’Hymne à la joie!), se veut un véritable manifeste démocratique, éloquemment résumé par le compositeur, qui a conçu l’œuvre comme une discussion entre «quatre hommes – qui conversent, argumentent, se disputent, se serrent la main et se taisent – pour ensuite gravir un flanc de montagne afin d’aller y admirer le firmament.»

L’exceptionnel quatuor Blair a su traduire la vaste palette de ces œuvres injustement méconnues, du murmure des pianissimos à la vigueur de certains passages qui, pour toutes leurs dissonances, ne dérapent jamais dans une cacophonie qui aurait pu rebuter le plus vaste public.

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