Les grandes oubliées du Nobel

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Publié 15/10/2015 par Sophie Félix (Agence Science-Presse)

Toujours pas de femme dans les prix Nobel de physique cette année. Depuis sa création en 1901, le comité Nobel n’a récompensé que deux physiciennes, Marie Curie en 1903 et Maria Goeppert-Mayer en 1963. Une situation que dénonçait la physicienne Pauline Gagnon, dans sa conférence au titre provocateur Belles, mais pas Nobel à l’Université du Québec à Montréal, le 30 septembre.

Pourtant, plusieurs femmes ont été pionnières en physique. Par exemple, l’astrophysicienne britannique Jocelyn Bell-Burnell et la physicienne autrichienne Lise Meitner, dont le monde de la recherche admet les grandes contributions.

La première obtient son doctorat à 24 ans en établissant une carte du ciel en ondes radio. Elle détectera dans ces cartes les premiers pulsars, ces phares stellaires dont le puissant éclat nous parvient de façon périodique, alors même que son directeur de thèse pensait qu’elle perdait son temps. C’est pourtant ce directeur, Antony Hewish, qui obtiendra le Nobel en 1974 pour «son rôle décisif dans la découverte des pulsars».

Jocelyn Bell-Burnell avait l’habitude du sexisme: seule femme sur 50 élèves dans son département de physique, elle se faisait fréquemment siffler en entrant dans la salle de cours. Elle ne protestera pas face au choix du comité Nobel, arguant qu’il est «difficile dans une découverte de départir le travail d’un étudiant de celui de son directeur de thèse».

Présidente de la Société royale d’astronomie entre 2002 et 2004, et enseignante dans plusieurs grandes universités, elle regrettera quand même avoir été «plus félicitée en 1974 pour [s]es fiançailles que pour [s]a découverte» qui ont eu lieu la même année.

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Lise Meitner aura précédé Dr Bell-Burnell sur cette voie. En 1938, elle explique la physique derrière une réaction inconnue obtenue par son collègue Otto Hahn à partir de l’uranium — ce qu’elle appelle la fission nucléaire.

Mais le nom de Lise Meitner n’apparaît pas sur les articles scientifiques publiés pendant la guerre, car il était à l’époque impossible à Otto Hahn d’admettre travailler avec une «non-Aryenne en exil» — née dans une famille juive, elle s’est établie en Suède avant la guerre. Le scientifique allemand recevra seul le prix Nobel en 1944 et ne rétablira jamais la vérité, même après la guerre.

Selon Pauline Gagnon, il aurait voulu donner l’image d’un scientifique que le régime nazi n’aurait pu corrompre. Le Dr Meitner ne s’en plaindra que dans des lettres à une amie. Horrifiée par l’utilisation de sa découverte dans la bombe atomique, elle ne se battra pas pour accoler son nom à celui d’Otto Hahn. Mais la communauté scientifique reconnaît son travail: une distinction de la Société européenne de physique porte son nom.

La dernière femme de la soirée n’aura pas cette chance. La mathématicienne et physicienne Mileva Maric Einstein, première femme d’Albert, aurait ainsi participé à presque tous les travaux de son mari, depuis leur rencontre en 1896 jusqu’à leur divorce.

Des traces de leur collaboration restent dans les lettres d’Albert Einstein où il emploie beaucoup le terme «notre» : notre théorie, nos travaux, notre découverte, notre article… Dans une lettre de 1901, il mentionne qu’il sera «fier et heureux quand nous aurons mené tous les deux ensemble notre travail sur le mouvement relatif à une conclusion victorieuse». Plusieurs témoignages concordent sur l’importance du rôle de Mileva qui «résout pour [lui] tous les problèmes mathématiques», selon des paroles attribuées à Albert Einstein.

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Mais les articles ne sont signés que du nom d’Albert et, même si les indices indirects s’accumulent (comme le fait que Mileva ait reçu l’intégralité de l’argent associé au prix Nobel de son mari en 1921), la communauté scientifique reste partagée.

Après avoir hué Antony Hewish et compati avec Mileva Maric Einstein, l’auditoire du Dr Gagnon est, lui, convaincu. Essentiellement féminin, il s’interroge pourtant: ces femmes étaient toutes discrètes, faisant passer leur travail avant leur réputation. Une étudiante vient donc témoigner: «les femmes en général n’aiment pas se mettre en avant, mais il serait temps qu’on se mette un coup de pied aux fesses: c’est important pour les générations à venir.»

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