Les fleurs du mal les plus belles et parfumées

Un fermier a construit des serres et cultivé du cannabis pour une gang

«La plante, la fleur, ça sent bon sans bon sens. C’est beau comme un arbre de noël.» (Marijuana Photos)
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Publié 12/10/2017 par Jean-Pierre Dubé

À l’approche de la décriminalisation du cannabis en 2018, des questions demeurent sur les régimes de distribution dans les provinces. Le réseau officiel répondra-t-il adéquatement à la demande? Il demeure évident que le marché noir exploitera les failles. Voici l’expérience de «Jimmy Valentine».

Il dit qu’il a déménagé plusieurs fois. Il ne veut pas publier son nom. Il propose lui-même un pseudonyme. «Encore aujourd’hui, 20 ans après, je suis pas certain si je verrai pas une voiture arriver tout à coup. Quand ils se sont fait prendre, j’ai été menacé.»

«Ils», ce sont les chefs d’une organisation criminelle. «Il y avait des gros politiciens dans la gang, des Québécois.» Lui, c’est un boomer qui vit sur une ferme dans le Nord-Ouest de l’Ontario. Dessinateur en bâtiment, fermier et grand débrouillard.

«J’ai été approché comme consultant par quelqu’un qui me connaissait de réputation. Ils savaient que j’avais une expérience très variée en construction. Ils étaient très professionnels, habillés comme des banquiers; tu vois qu’ils ont de l’argent. Ça a l’air du bon monde au début, mais c’est pas mal hardcore quand ça va mal.»

L’organisation transformait des porcheries abandonnées en grow-ops, mais n’avait pas l’expertise pour installer les systèmes d’électricité et de plomberie. Jimmy avait compris ce qui se tramait et accepté le travail à condition de ne jamais être mis en présence de produits illégaux.

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Désensibilisation

Le défi était énorme: tout était devait être mécanisé et informatisé avec une technologie de pointe. Il fallait contrôler la charge électrique 24 heures par jour en alternant entre les deux moitiés de la bâtisse. Sinon, tout aurait pris feu.

«Ça prenait une très grosse ligne. Ils étaient sur le bord du highway (transcanadien), ils volaient l’électricité.» Il raconte comment ils ont installé sur un poteau d’hydro, en plein jour et dans des conditions de danger mortel, un transformateur de plusieurs centaines de kilos «gros comme un frigidaire».

S’ensuivit une désensibilisation graduelle. «Il n’y avait pas de risque. Je me suis habitué à l’idée, à l’argent, à l’envergure.»

Un jour, on l’a fait venir d’urgence à la serre pour dépanner et il trouva le bâtiment rempli de plantes. «J’étais en maudit. Mais ils avaient absolument besoin de moi et ils m’ont payé dix fois plus parce que là, il y avait du risque.»

Mais comment on dit non après avoir dit oui à une organisation criminelle? Trois ans se sont écoulés après cet incident. Puis Jimmy a partagé cette idée lumineuse qui pouvait le sortir du tunnel.

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«C’est bien beau la culture à l’intérieur, mais pourquoi pas le faire dehors, dans la nature?» Ils ont accepté qu’il se mette à cultiver.

460 plantes à 1000 $ chacune

Le contrat stipulait la livraison de 460 plantes matures pour 1000 $ chacune. Il se disait: «Je vais le faire une année et faire un demi-million; après je pourrai vivre tranquillement sur la ferme.»

Jimmy n’aime pas fumer. «Mais c’est tellement le fun à faire pousser – ça et l’ail! Y’a rien de plus beau et de plus facile à cultiver avec du bon compost. La plante, la fleur, ça sent bon sans bon sens. C’est beau comme un arbre de noël.»

Un arbre? La plante importée du Québec mesure à maturité 8 pieds de haut par 5 de large. Et quelle récolte! «Il y en avait trois ou quatre fois plus que prévu. Parce que je connais ma terre et je sais comment faire.»

Pour minimiser le risque, la gang avait acheté le terrain voisin. Les choses ont commencé à aller mal quand Jimmy a commencé à livrer la marchandise.

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«J’apportais les branches au bout de ma terre et ils faisaient le trim pour ensuite faire de l’huile. Ils étaient une dizaine chaque jour qui travaillaient chez les voisins. Ça faisait beaucoup de monde.»

Incendie

Un jour, un chef est venu contrôler et il a découvert que l’humidité du stock était trop élevée: la moisissure menaçait de tout détruire. «Au lieu d’abandonner, le responsable a voulu accélérer le processus de séchage. Il a mis la place en feu.»

Les pompiers sont arrivés et ensuite la police. Ils ont suivi la piste «des petites feuilles vertes» et se sont rendus promptement chez Jimmy. Le lendemain, 15 membres de l’équipe scientifique de la GRC débarquaient pour fouiller sa propriété.

On n’a rien trouvé d’illégal, ni aucune indication de consommation ou de trafic. Il a eu de la chance: le policier en charge venait d’être transféré et il avait connu les gangs à Toronto. «Ça lui a pris deux minutes pour comprendre quel était mon rôle dans tout ça.»

«J’avais une vraie ferme, j’avais pas volé, j’avais pas fait de mal à personne, j’avais pas d’antécédents (judiciaires). Ils avaient assez d’informations pour descendre la gang et ils ont fait du ménage.» Jimmy s’en est tiré avec «une nuit en prison et une tape sur les doigts».

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Il a fini par leur dire où était son champ. Sa récolte a été évaluée à 1,8 million $ sur le marché.

La GRC s’est inquiétée de sa sécurité et lui a offert une protection, étant donné qu’il était devenu un témoin gênant. Mais il refuse l’offre. «Ils m’ont coaché sur ce que je devais faire pour me protéger.»

Pas de questions pendant 20 ans

«Une chance que ça a fini comme ça. Avec une récolte de cette valeur-là, je suis pas certain que j’aurais été capable, l’année d’après, de dire non.»

Jimmy demeure persuadé que la culture de cannabis au grand soleil est garante de la qualité. Et le voici qui déplore les stratégies de culture intérieure choisie par Ottawa. Il comprend mal pourquoi les gouvernements continuent à criminaliser la production, qui avait longtemps existé pour des fins médicinales.

«Pour remplacer ça par des grosses serres qui coûtent des millions? C’est ridicule. Il y a toute une expertise disponible sur le terrain et le fédéral va l’écarter. Il faut laisser faire les fermiers.»

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Jimmy aimerait voir un système de gestion de la demande, comme pour le lait et les œufs, avec des quotas et des contrôles. «Je le ferais encore, si ce n’était pas un crime. Mais ça va rester illégal.»

Le bilan. «Ma plus grosse peine, c’est la perte de crédibilité. J’ai menti à du monde, je leur racontais des histoires. J’aurais préféré faire de la prison que de perdre le respect. J’ai perdu du respect pour moi-même.»

L’histoire avait parue dans la presse. «Personne, même de ma propre famille et de mes amis, personne n’est venu me voir pendant 20 ans pour savoir ce qui s’est passé. C’est une grosse perte pour moi. J’ai jamais été stigmatisé, mais on a fait comme si c’était jamais arrivé.»

«Mon histoire, c’est la première fois que j’en parle.»

Auteur

  • Jean-Pierre Dubé

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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