Les deux pieds dans la marge

Le Festival Fringe de Toronto

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Publié 11/07/2006 par Marta Dolecki

Expérimental, alternatif, débridé et cool par excellence: le Festival Fringe fait la place belle à la marge. Cette année, il bat son plein dans la Ville-Reine jusqu’au 16 juillet prochain. Sur les 26 Fringe nord-américains, celui de Toronto est le troisième en importance. Il vient se classer derrière les festivals d’Edmonton et de Winnipeg.

Le retour des beaux jours incite les Torontois à aller «fringer». Le festival, quant à lui, propose une alternative salutaire à ses grands frères, le festival Shaw et le festival de Stratford. Sa différence? Mettre en avant une création théâtrale qui se veut libérée des diktats commerciaux et autres conventions de genre.

Les dramaturges, performeurs et artistes de la relève qui participent au festival ne sont pas encore des grands noms de la scène artistique. Simplement, ils ont la plume qui les démange et couchent sur papier leurs préoccupations du moment. Contre des frais de participation modique, le Fringe leur propose de porter au grand jour une vision du monde tout à tour excentrique, chaotique, burlesque, avant-gardiste, devant un public avide de nouveautés.

À l’instar d’un mariage réussi ou boiteux selon les cas, la présentation d’une pièce a parfois lieu pour le meilleur, et parfois pour le pire. Pour cette 18e édition du Fringe à Toronto, le parcours du festivalier est, comme à chaque année, parsemé d’embûches. Plus de 1 000 pièces sont présentées dans 28 salles éparpillées à travers la ville. Il s’agit donc de faire le tri entre les belles découvertes et les pièces moins prometteuses. Chose certaine: l’élément de surprise n’a d’égal que les déconvenues. Reste que pour 10 $, le prix d’un billet d’entrée, on ne peut vraiment se tromper.

Dans le cadre du Fringe, L’Express est allé rencontrer quatre artistes francophones – Acadiens, Torontois, Français et Ottaviens – qui participent, cette semaine encore, à ce grand festival de la création théâtrale.

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Du théâtre qui éclabousse

Le Torontois Dan Watson, l’Acadien Mathieu Chouinard et le Français Étienne Bayard se sont rencontrés à Paris, lors de leur passage à l’école de théâtre Jacques Lecoq. Ensemble, ils ont formé la compagnie Houppz! à l’été 2004.

Deux ans plus tard, au Festival Fringe de Toronto, ils présentent SpasH2O, un spectacle mêlant le cinéma muet au genre cabaret, le tout saupoudré de saynètes absurdes. Comme son nom l’indique, la pièce explore les possibilités offertes par le précieux liquide, mais pas de n’importe quelle façon.

«On boit, on nage et on vit avec. C’est un élément banal et que l’on côtoie tous les jours. Nous avons simplement essayé d’extraire toute la folie et la poésie qu’il peut y avoir dans l’eau en prenant comme point de départ des scènes de la vie quotidienne», explique Mathieu Chouinard à propos du spectacle.

Au gré des scènes, deux poissons coincés dans un aquarium se font la conversation en français, boivent du vin et en profitent pour critiquer leur maître de maison. Des scientifiques invités à une conférence, analysent, sur un ton très sérieux, les différentes façons de boire un verre d’eau. Dans une autre saynète, une fuite d’eau finit par prendre des proportions inimaginables. Plus loin, un goéland se retrouve à danser sous la baguette du chorégraphe belge van Schuppen. D’une façon ou d’une autre, les différentes histoires relatées sur scène ont toutes pour fil conducteur l’eau, élément banal pourtant porteur d’associations fertiles.

Et toutes regorgent d’inventivité. À n’en pas douter, SplasH2O est une pièce qui éclabousse. Les sketches sont bien pensés, bien ficelés, aussi, pour ce trio dynamique qui emmène le spectateur à sa suite, de frasque en frasque, au gré de ses aventures aquatiques et avant le coup d’éclat final.

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La compagnie Houppz! exploite le filon du théâtre physique: peu de paroles, beaucoup de mimes pour un spectacle original qui invite à la franche rigolade et, à coup sûr, n’en finit pas de faire des vagues.

• SplasH2O, compagnie Houppz! Robert Gill Theatre, 214 rue College, 3e étage, salle #2, mardi 11 juillet à 17h15, jeudi 13 juillet à 12h, vendredi 14 juillet à 19h30 et samedi 15 juillet à 13h45. Billet: 10 $.

Une danse à l’écoute du corps

Dans un tout autre registre, la Parisienne Isabelle Barbat présente son solo de danse intitulé Requiem pour une âme seule. Dans son cas, la chorégraphe explique que le langage du corps ne s’inscrit pas dans un rapport intellectuel à la danse, mais bien dans une double démarche, à la fois intuitive et empirique, qui lui permet d’être davantage à l’écoute d’elle-même.

À 46 ans, la danseuse reconnaît ne plus être toute jeune. Elle souhaite respecter ses capacités physiques et son solo poursuit cette exploration du corps vu à travers le passage des années.

L’explication de son travail sur Requiem, Isabelle Barbat ne souhaite pas la donner, ni ici, ni ailleurs. «Je n’ai pas de thème à priori. Je propose une œuvre qui n’a pas d’identité propre. Les gens voient ce qu’ils veulent à travers elle et, ensuite, c’est leur propre histoire qu’ils racontent», fait savoir l’artiste.

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Pour justifier le titre de son solo, la chorégraphe laisse toutefois échapper quelques pistes. Elle parle d’un côté résolument masculin attaché à sa personne, de son grand besoin d’indépendance, de la conscience, subséquente, d’être toujours seule face à l’amour, et, enfin, du sentiment de solitude qui en découle parfois. Cependant, ces mêmes choses, loin d’être négatives, viennent au contraire lui fournir le substrat de sa création.

Sur scène, des moments d’extrême violence alternent avec des mouvements plus lents, très doux, qui rappellent une naissance, celle d’un enfant ou bien encore, une renaissance à la vie.

Mais le véritable moment de grâce survient lorsque l’artiste, chanteuse de formation, se met à interpréter la chanson Sometimes I Feel Like a Motherless Child d’une voix magnifique, baignée d’émotions. «C’est un chant qui vient de l’esclavage des noirs. J’interprète aussi le Kaddish de Maurice Ravel, une prière juive et chrétienne. Ce spectacle englobe toutes les cultures et, au fond, ce qui parle, c’est l’être humain», de conclure la chorégraphe et performeuse française.

• Requiem pour une âme seule, solo d’Isabelle Barbat, Robert Gill Theatre, 214 rue College, 3e étage, mardi 11 juillet à 13h15, vendredi 14 juillet à 11h, dimanche 16 juillet à 17h15. Billet: 10 $.

En vadrouille dans la ville

Le comédien Pierre Simpson a réadapté la pièce Parano par amour, un one-man show hybride et intense créé il y a plus de 15 ans par la Compagnie Vox Théâtre. Traduite en anglais pour les besoins d’un festival, la pièce est devenue So Close to my Skin, présentée au Fringe jusqu’au 14 juillet prochain.

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Originaire d’Ottawa, Pierre Simpson signe sa première participation au festival dans sa version torontoise. Sur les planches du Théâtre Tarragon, il est seul à défendre le rôle principal pendant la durée de la pièce. Telle qu’elle, So Close to my Skin se donne à lire comme une exploration des possibilités offertes par le théâtre musical.

La pièce effectue une plongée dans les univers sonores de Björk, Radiohead et Coldplay tout en contant l’histoire d’un Homme Évadé, gamin de 19 ans parti sur les traces d’une mystérieuse Betty. Il rencontrera sur son passage une série de personnages plus décalés les uns que les autres: une veille immigrante, un homme ironique et un voleur de couteaux prénommé Rick. Mal de vivre, folie latente, rencontres singulières et quête du grand amour sont quelques-uns des thèmes proposés au menu de la pièce revisitée par Pierre Simpson.

• So Close to my Skin de Marie-Thé-Morin et Pier Rodier avec Pierre Simpson, Tarragon Extra Space, salle 7, 30 Bridgman Avenue, mardi 11 juillet à 22h45, mercredi 12 juillet à 18h, jeudi 13 juillet à 15h30 et samedi 15 juillet à 13h45. Billet: 10 $.

Quatre femmes et une sculpture

Une chose est sûre: les spectateurs s’interrogent beaucoup à la sortie de la pièce Two Doors Twice de Lindsey Connell (voir la critique de Pierre Karch ci-dessous).

La comédienne franco-ontarienne Marie-Josée Lefebvre y interprète le rôle d’une cartographe qui a vécu dans un passé lointain. Elle donne vie à l’un des portraits de femmes qui, ensemble, viennent tisser le fil de l’histoire.

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Marie-Josée Lefebvre parle de Two Doors Twice comme d’une oeuvre complexe qui donne à voir plusieurs niveaux de lecture. Two Doors Twice examine la place occupée par l’oubli, la mémoire et la manière dont les personnages confrontent leur propre histoire à celle des générations précédentes, elle-même inscrite dans l’Histoire collective.

Plusieurs thèmes – la culpabilité, la guerre vue à travers le regard de femmes artistes – s’entrecroisent de façon habile au gré de l’intrigue. Le passé rejoint de présent sous les traits de la femme-soldat américaine, Lynndie England, tristement connue pour les sévices qu’elle a infligés aux détenus de la prison irakienne d’Abou Ghraïb.

La femme soldat est ici représentée par le biais d’une statue. Elle imprègne la pièce de sa présence lourde de sens. Les autres protagonistes se regroupent autour d’elle pour savoir ce qui a pu pousser cette femme de 22 ans à accomplir un tel geste fratricide.

«De quelle façon la guerre nous affecte-t-elle en tant que société? Et cette femme-là, Lynndie England, est-elle victime ou complice d’un tel acte?», s’interroge Marie-Josée Lefebvre au détour de la conversation. «Est-elle, au contraire, le produit d’une société qui revendiqué l’égalité des sexes au point de transformer les femmes en machines à tuer? Voila quelques-unes de questions soulevées par la pièce», lance, d’un trait, la comédienne, visiblement passionnée. – Marta Dolecki

Two Doors Twice: actualité et œuvre d’art
Lindsey Connell, l’auteure de Two Doors Twice, pose la question difficile de la relation entre la réalité et l’œuvre d’art. Dans cette pièce ambitieuse, la dramaturge touche à plusieurs sujets. Et je me demande jusqu’à quel point elle peut s’attendre à ce que le public, que ne renseigne pas le programme, puisse la suivre.

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Une artiste (Marie-Josée Lefebvre) recouvre de peinture des cartes géographiques pour indiquer que les frontières, aujourd’hui, ne cessent de changer. Cet état de fait semble justifier l’action des grandes puissances qui envahissent n’importe quel pays sous n’importe quel prétexte, agissant comme les bêtes qui ne connaissent pas de frontières et qui occupent tout simplement l’espace qu’elles jugent nécessaire à leur survie.

Une sculptrice (Victoria Adilman) tente de donner une forme originale à son modèle (Sarah Evans), qui sera celle d’un soldat en fonction dans un pays lointain. Cela nous mène en Irak dans la prison d’Abu Graïb. On y retrouve un prisonnier portant une cagoule (Sam Kalilieh). Mais le même personnage joue également le rôle d’un gardien dans un musée où se trouve la statue du soldat.

Les moments historiques et les lieux se confondent, se juxtaposent. On va même jusqu’à faire un parallèle entre la prison de l’infamie et un immeuble sans importance qu’habitent des squatters au moment où il est question de démolir l’une et l’autre. Ce texte n’apporte rien de nouveau à la question politique, sociale et morale de l’invasion de l’Irak par les Américains. On peut admirer l’énergie des comédiens, mais on sort de cette représentation avec plus de questions que de réponses. C’est sans doute ce à quoi il faut s’attendre d’une pièce faisant partie du festival Fringe. – Pierre Karch

• Two Doors Twice de Lindsey Connell, Robert Gill Theatre, 214 rue College, 3e étage. Mercredi 12 juillet à 19h30, jeudi 13 juillet à 22h30, samedi 15 juillet à 15:30 et dimanche 16 juillet à 12h. Billet: 10 $.

www.fringetoronto.com

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