La chimiothérapie aurait un taux d’efficacité très bas: cette affirmation de la chroniqueuse du Devoir Josée Blanchette, lancée lors d’une récente édition de Tout le monde en parle, a déclenché un débat.
Un regard sur la source originale rappelle que derrière les critiques de la chimiothérapie se cache une réalité beaucoup plus complexe. Et que l’efficacité des traitements de chimiothérapie est beaucoup plus grande que ce qu’a rapporté la journaliste.
La source de la controverse
Josée Blanchette, chroniqueuse au Devoir et auteure d’un livre né de son expérience personnelle avec le cancer, Je ne sais pas pondre l’œuf, mais je sais quand il est pourri, a affirmé lors de son passage à l’émission Tout le Monde en parle du 2 octobre 2016 que les chimiothérapies, prises dans leur ensemble, ne contribueraient au rehaussement de la longévité des personnes atteintes de cancer qu’à un taux d’un peu plus de 2%.
Ce chiffre (également cité dans son livre, en page 38) provient d’une étude australienne publiée en décembre 2004 dans la revue Clinical Oncology, une étude dont la validité lui aurait été confirmée par des chercheurs qu’elle a consultés.
Cette étude est aussi abondamment citée par des blogues et sites web consacrés à dénigrer la chimiothérapie, comme en témoignait en 2011 l’éditeur du site Science Based Medicine, David Gorski.
Pourtant, dès sa publication, sa méthodologie et ses conclusions ont été contestées. Et dans les jours qui ont suivi la diffusion de l’émission, plusieurs médecins et chroniqueurs (dont la blogueuse de L’actualité Valérie Borde) se sont empressés d’en rappeler les failles. Qu’en est-il vraiment?
Une étude valide?
Une précision d’abord: les auteurs de cette étude australienne n’ont jamais prétendu étudier le cas spécifique de chaque cancer. Ils ont posé une question globale, concernant nos politiques de santé: la chimiothérapie coûte très cher, mais a-t-elle eu jusqu’ici un impact majeur sur la survie après cinq ans?
Pour répondre à la question, ils ont relevé l’ensemble des publications scientifiques concernant les taux de survie pour 22 types de cancers parmi les plus fréquents, aux États-Unis et en Australie, sur une période de 14 ans, de 1988 à 2002.
Leur conclusion: pour tous cancers confondus, foudroyants ou non, le taux de survie après cinq ans était à l’époque de 63% (plus de 6 patients sur 10 vivaient encore, cinq ans après la découverte de leur cancer); mais dans cette statistique globale de survie, la part des gains attribuable uniquement à la chimiothérapie ne représentait que 2,1 % aux États-Unis, et 2,3 % en Australie. C’est la statistique retenue par Mme Blanchette pour étayer ses propos. Explication en quatre temps.
Premier constat: il s’agit d’un survol des recherches menées entre 1988 et 2002. Les données datent donc de 14 à 28 ans, ce qui est un énorme délai en cancérologie. Le chiffre ne tient donc pas compte des nouveaux traitements développés depuis.
Deuxièmement, leur analyse des recherches portait sur 22 cancers parmi les plus fréquents, ceux dont l’impact sur les coûts de santé était le plus important.
Mais cette sélection excluait plusieurs cancers pour lesquels la chimiothérapie est le traitement le plus efficace, notamment la leucémie myéloïde chez l’enfant (rémission complète de plus de 90%, après chimio), la maladie de Hodgkin (rémission complète pour 60 à 95 % des cas, selon le stade auquel il est diagnostiqué), les lymphomes non hodgkiniens (taux de survie à 5 ans de 53 à 91% selon le stade) ou le cancer des testicules (survie de 48 à 92% selon le stade et la présence ou l’absence de métastases).
Parce que tous ces cancers ont été exclus de l’analyse australienne, on a accusé ses auteurs d’avoir fait du «cherry picking», c’est-à-dire d’avoir choisi certaines études au détriment d’autres.
Troisièmement, pour mesurer la part de la chimiothérapie sur le bilan global de survie, les auteurs ont recensé l’ensemble des études portant sur les taux de survie après cinq ans, que les patients aient été traités par chirurgie, par rayonnement, par hormones, par chimio… ou par combinaison de plusieurs traitements.
Or, une bonne partie des cancers (les tumeurs solides, notamment) ne se prêtent pas à la chimiothérapie. Il est donc normal que la longévité liée à la chimio apparaisse modeste dans le bilan global, puisqu’une partie seulement des personnes étudiées en avait bénéficié.
Et même parmi ces patients, le survol incluait l’ensemble des chimiothérapies étudiées à l’époque, c’est-à-dire celles qui étaient déjà reconnues comme efficaces, mais aussi des chimios expérimentales, pour lesquelles les résultats ont été marginaux, voire négatifs.
Quatrièmement, les auteurs ont utilisé comme indice le taux de survie après cinq ans. En effet, en cancérologie, on considère souvent que ce délai correspond à une «guérison».
Mais en ne retenant que cet indice, les auteurs excluaient la majorité des effets positifs des chimiothérapies palliatives, celles qui permettent de prolonger de six mois, d’un an ou de deux ans, la survie de quelqu’un qui est malgré tout condamné. Pour la majorité des personnes victimes d’un cancer, ce gain de quelques mois ou de quelques années est important.
D’autant plus que, dans la majorité des cas, la chimio entraîne à court terme une réduction de la taille des tumeurs et permet ainsi d’améliorer la qualité de vie des malades, une information absente des propos et du livre de Josée Blanchette. Les oncologues (et leurs patients) considèrent alors la chimio comme un succès, même si elle ne permet pas d’accroître le taux de survie à cinq ans.
Autrement dit, en ne retenant que cet indice, le taux final d’efficacité est quelque peu faussé à la baisse.
De même, l’indice de survie à cinq ans ne prend pas en compte les effets positifs à plus long terme des chimiothérapies adjuvantes (aussi appelées complémentaires, ou «postpréventives»). Il s’agit de chimiothérapies qu’on propose à des patients traités par chirurgie, par radio ou par hormonothérapie, et pour lesquels on pense avoir complètement éliminé la tumeur principale.
Par «assurance», l’équipe médicale peut leur recommander quand même une chimio complémentaire, afin de traquer d’éventuelles cellules tumorales isolées qui pourraient avoir eu le temps de migrer ailleurs dans l’organisme.
Dans le cas du cancer du sein hormonodépendant, par exemple, l’introduction des anti-œstrogènes (dont le tamoxifène) dans les années 1970 a permis d’obtenir un taux de survie après cinq ans de près de 100%. Cependant, les cancers réapparaissent souvent quelques années plus tard. La chimio postpréventive réduit considérablement ce risque de récidive lointaine, mais cela n’influe en rien sur la survie à 5 ans.
Quand, après le traitement d’un cancer, aucun ganglion ne semble atteint, la probabilité de récidive est plus faible et la chimio adjuvante moins nécessaire. C’était le cas de la journaliste Josée Blanchette, qui explique qu’elle n’avait aucun ganglion cancéreux à proximité de sa tumeur au colon.
Les statistiques disent que, dans 83% des cas comme le sien, on a une guérison totale. Dans son cas, la chimiothérapie adjuvante aurait fait progresser ses chances statistiques de guérison totale de 89 à 95%. Quand le gain est inférieur à 10%, beaucoup d’oncologues recommandent de ne pas proposer le traitement adjuvant, selon le site français Oncoprof.
Des approches plus douces?
Dans son interview à la télévision et dans son livre, Josée Blanchette mentionne beaucoup d’autres approches plus douces, qui permettraient aussi de réduire les risques de cancer primaires et de récidives. Elle insiste notamment sur l’alimentation, et… l’aspirine!
Là-dessus, les données de recherche lui donnent raison.
Comme l’expliquait le biochimiste Richard Béliveau dans une chronique récente, plusieurs études ont établi clairement le lien entre l’inflammation chronique et le risque de développer un cancer. Or, beaucoup d’états inflammatoires chroniques sont liés à nos habitudes de vie, notamment la cigarette, une mauvaise alimentation et l’obésité.
Et plusieurs études ont démontré clairement le rôle, pour la prévention du cancer, que peut avoir la prise régulière d’un anti-inflammatoire comme l’aspirine, en petites doses, pendant 3 à 5 ans. Un effet que la Société canadienne du cancer reconnaît, même si elle hésite encore à recommander cette forme d’automédication préventive.