Les Afro-Canadiens d’hier à aujourd’hui

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Publié 09/02/2010 par Vincent Muller

Le Dr Sheldon Taylor, professeur d’histoire à l’Université York, est spécialisé dans les études afro-canadiennes. Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, il a mis en place une exposition sur son thème de prédilection: plus d’une cinquantaine d’objets et photos ayant appartenu aux premières familles afro-canadiennes seront exposés du 10 février au 2 mars au Centre des sciences de l’Ontario grâce à un partenariat avec Tourisme Toronto. En pleine préparation de l’exposition, l’historien a fait part à L’Express de son point de vue.

Arrivé en Ontario en 1966, à l’âge de 14 ans, en provenance de Saint Kitts, Sheldon Taylor a poursuivi des études universitaires en histoire à l’Université de Toronto où il a obtenu un doctorat.

«Avant mon arrivée, les discussions avec ma grand-mère avaient déjà déclenché en moi une certaine faim pour les faits historiques», explique-t-il, «ici, dans les années 1970, j’ai rencontré des gens venus des Caraïbes après la Première Guerre mondiale. À cette époque, on ne connaissait pas leur histoire, mais seulement celle des nouveaux immigrants noirs».

Ceci l’a donc poussé à explorer cette facette de l’histoire canadienne peu connue et à retracer les origines et le contexte dans lequel sont arrivés les premiers Afro-Canadiens.

Pas tous des esclaves

Contrairement à ce que certains pourraient imaginer, les premiers sont venus bien avant les années 1960-1970 et bien avant l’entre-deux-guerres et «ils n’étaient pas tous des esclaves fugitifs venus des États-Unis», précise l’historien: «Mathieu Da Costa par exemple, d’origine africaine, est venu d’Europe aux alentours de 1600 et a servi d’interprète entre les premiers explorateurs français, dont Samuel de Champlain, et la nation Micmaque. Il y a une bourse qui porte son nom.»

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À cette époque, les Européens faisaient appel à des interprètes originaires d’Afrique depuis un siècle. «Mathieu Da Costa n’était pas le premier interprète noir à être venu jusqu’au Canada», souligne Sheldon Taylor.

Il ajoute que d’autres éléments sont venus confirmer la présence ancienne d’Africains dans l’Est du Canada, avec notamment des pierres portant des gravures africaines, découvertes en Nouvelle-Écosse.

L’exposition Northern Lights: African-Canadian Stories, vise donc à faire découvrir au public cet héritage à travers des photos et objets, notamment d’anciens journaux afro-canadiens, retraçant la vie et les activités de familles afro-canadiennes sur une dizaine de générations.

«Début 1850, on estime à 
40 000 ou 50 000 familles afro-canadiennes, dont un certain nombre avaient fui les États-Unis, mais ce chiffre est controversé puisque beaucoup ne se signalaient pas», explique l’historien.

Morgan Freeman

Pour Sheldon Taylor, le Mois de l’histoire des Noirs est capital pour rappeler la contribution des Noirs au pays. Il est en désaccord avec ceux, comme l’acteur afro-américain Morgan Freeman, qui estiment que ce mois n’a pas lieu d’être dans la mesure où l’histoire des Noirs, comme celle des Blancs ou autres, fait partie de l’histoire tout court.

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«Avoir une approche historique incluant toutes les origines sera peut-être possible dans le futur, mais pour l’instant la seule façon d’infuser cet aspect de l’histoire c’est d’en parler, de faire en sorte que ce soit accepté complètement, que la société évolue. On est encore loin de l’idéal, mais peut-être que dans une génération ceci fera partie du programme d’histoire.»

Le savoir se transmet

Selon lui donc, le but de ce mois est d’une part d’aider les Afro-Canadiens à s’unir, quelle que soit leur origine, et à réaliser l’apport des Noirs au pays dans différents domaines afin de leur faire comprendre qu’ils comptent dans la société canadienne, et d’autre part de faire en sorte que cet apport soit mieux expliqué à la population dans son ensemble.

Pour l’historien, ce mois est l’une des initiatives qui permettront petit à petit de passer à une histoire plus inclusive. Sheldon Taylor est d’ailleurs convaincu que le savoir se transmettra petit à petit grâce à des personnes comme ses étudiants: «60% de mes étudiants en histoire afro-canadienne sont Blancs. Parmi les meilleurs et les plus intéressés, il y a une jeune fille qui vient du Nord de l’Ontario et qui n’a jamais côtoyé d’Afro-Canadiens. Je suis convaincu que ces étudiants feront changer les choses.»

L’école afrocentrique

Il n’en reste pas moins convaincu de la nécessité d’initiatives telles que l’école afrocentrique qui a ouvert ses portes à Toronto en septembre 2009: «40% des jeunes Noirs à Toronto laissent tomber les cours. Ceux qui finissent le secondaire ont souvent une moyenne trop basse pour être acceptés dans un collège, ils ont des difficultés pour trouver du travail et sont marginalisés.

C’est un problème auquel personne ne s’est adressé. L’école ne va pas tout résoudre, mais il y a un besoin d’essayer différentes solutions pour voir ce qui va marcher. Ça va mettre du temps pour obtenir des résultats, au moins 15 ans, mais c’est nécessaire. Malheureusement, l’initiative de cette école est mal expliquée et mal comprise par beaucoup de gens.»

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Dénonçant le conformisme, il évoque une anecdote personnelle: «Quand j’étais adolescent j’apprenais le français, mes camarades me traitaient de «frog lover», quand on est jeune on ne veut pas se distinguer, donc j’ai laissé tomber le français.»

Anti-conformiste

Il continue son parallèle avec la lutte des francophones: «Avant dans la société anglo-saxonne, la seule chose que l’on envisageait pour les francophones, pour les femmes c’était d’élever une douzaine d’enfants et pour les hommes de devenir prêtre. Les francophones se sont battus contre le conformisme pour avoir des opportunités, nous devons faire pareil pour obtenir un traitement égal et nous créer des opportunités.»

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