L’éloge des poseurs de question

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Publié 13/01/2009 par Dominique Denis

Le temps est venu d’aborder – enfin! – deux nouveautés que je m’étais mises de côté pour la durée du congé des Fêtes, ayant compris qu’elles méritaient une attention particulière, et qu’il serait fâcheux d’en parler intempestivement. D’abord, il y a Écoutez d’où ma peine vient (EMI), le petit dernier de l’éternel Alain Souchon, et puis le fameux Douze hommes rapaillés chantent Gaston Miron (Spectra Musique), déjà considéré, par les chroniqueurs qui comptent, comme un classique de la chanson québécoise.

Dans un cas comme dans l’autre, la tâche s’est avérée plus ardue que prévu. Pour ce qui est de Souchon, si j’ai bloqué, c’est pour des raisons personnelles: son œuvre m’accompagne et m’oxygène depuis si longtemps que chacune de ses nouveautés constitue non seulement la bande-son de ces films qui tournent dans ma tête, mais une borne sur mon cheminement personnel. Même si je ne suis jamais déçu, j’ai toujours peur que vienne le jour où la magie Souchon n’opérera plus chez moi – par sa faute ou la mienne? – et que je devrai chercher ailleurs l’inspiration divine.

Écoutez d’où ma peine vient m’a d’abord fait le même effet que son prédécesseur, La vie Théodore, en ce sens qu’au départ, j’ai cru y déceler un certain essoufflement de l’inspiration. En plus de piquer à Aragon le texte (fort joli, au demeurant) de Oh la guitare, Souchon reprend Bonjour Tristesse, l’ode à Françoise Sagan qu’il nous avait déjà proposée dans l’album susmentionné, et dont cette nouvelle lecture ne propose rien de radicalement nouveau. Sans elle, on se retrouve avec 37 petites minutes de musique. Un peu mince, non?

Mais voilà qu’au fil des écoutes, le poids réel de chaque chanson d’apparence si lègère s’est imposé comme une vérité irréfutable: Elle danse est la plus touchante chanson que je connaisse sur les blessures de l’exil et la ténacité de l’espoir. Si l’on peut dire qu’il existe des chefs d’œuvre de tendresse, en voilà un. Quant au curieux 8m2, Souchon y scrute les motifs – et le sort – de ces femmes fatalement dévouées à leur homme, et qui épousent une cause perdue pour peu qu’elles s’amourrachent d’un quelconque combattant.

Dans le même ordre d’idées, l’étrangement intitulé Popopo explore le mythe du Ché et le décalage entre l’icône exportable et la vérité historique («La gueule du beau mec, le béret/Le cigare au bec parfait/Sur le tee-shirt d’Adriana/Allons faire un tour sur Internet/Voir si ce guérillero était vraiment le mec net»). Et puis il y a Rêveurs, sur lequel s’ouvre l’album, et qui reprend avec humour un thème – celui de la trahison de nos belles illusions de jeunesse – qu’avait exploité Lelièvre sur Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves? («On disait, vous verrez quand ce sera nous/Plus de violence, plus de coups/On voyait nos baisers gagnants/Les filles se déshabillaient tout le temps»).

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Il serait facile d’étayer l’argument en passant en revue chacune des petites perles de sagesse qui composent Écoutez d’où ma peine vient, mais je vous laisse le soin d’en faire vous-même la découverte, à votre rythme et selon vos termes. Après ça, vous remettrez à la place qui leur revient tous ces bavardages creux qui passent trop souvent pour des chansons.

Miron, par le cœur et l’esprit

Après Souchon, il n’est pas aisé de passer à Miron. Si le premier a imposé une plume qui ne trahit aucun effort apparent, on n’accusera jamais le poète québécois de pécher par excès de facilité. Et puis, parler d’un disque consacré à Miron, c’est aborder un personnage auquel le Québec – et une bonne partie de la francophonie – voue une révérence frisant le culte.

Un aveu, d’entrée de jeu: j’ai moi-même découvert Miron par le biais de la chanson, notamment grâce aux musiques de Gilles Bélanger que Chloé Sainte-Marie s’était magistralement mises en bouche au gré de ses récents albums. C’est donc a posteriori que j’ai exploré L’homme rapaillé dans son incarnation typographique. Et je dois dire que la musique, qui aurait pu n’être qu’une greffe maladroite (c’est souvent le cas quand la chanson se frotte à la poésie), s’avère ici un complément magistral à notre entendement de l’oeuvre du poète. Le langage concret de la musique – mélodie, harmonie, couleurs instrumentales – rend plus tangible l’abstraction de la langue, nous permettant d’en recevoir plus clairement l’émotion.

Par la voix de douze hommes qui sont eux-mêmes des auteurs chevronnés, l’espoir, la colère, la fraternité, la passion de Miron prennent corps. Quand Yann Perreau chante «Je marche à toi, je titube de toi, je meurs de toi/Lentement je m’affale de tout mon long dans l’âme», on reçoit ce cri d’amour dans le mille. Quand Michel Faubert pousse la complainte country de Je t’écris pour te dire que je t’aime («Qu’es-tu devenue toi comme hier/Moi, j’ai noir éclaté dans la tête/J’ai froid dans la main/J’ai l’ennui comme un disque rengaine»), ces mots balaient d’un coup de vent tous les clichés qui encrassent le discours amoureux.

Parallèlement, il y a ces textes que l’on pourrait qualifier de militants, tels Ce monde sans issue (parfait pour la voix éraillée de Daniel Lavoie), ou encore La route que nous suivons, repris ici avec conviction par Louis-Jean Cormier, et dont le discours pourtant ancré dans l’esprit des 60’s n’a rien perdu de sa pertinence («Au nord du monde nous pensions être à l’abri/Loin des carnages des peuples/De ces malheurs qui font la chronique/De ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres/Incrédules là même de notre perte/Au nord du monde/Et tenant pour une grâce notre condition»)

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Ce que Ferré avait fait pour Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Aragon et les autres, Gilles Bélanger l’accomplit pour Gaston Miron, un défi qui n’allait pas de soi: autant le vocabulaire de Miron appartient au quotidien, autant sa poésie est un acte de violence salutaire fait à la langue, relève d’une logique qui ne se révèle pas d’emblée, mais qu’on peut entendre désormais plus clairement, par le biais de la musique, c’est-à-dire avec le cœur autant que l’esprit.

Chacun à sa façon, Souchon et Miron nous rappellent que dans ce monde régi par les donneurs de réponses, on a plus que jamais besoin de poseurs de questions.

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