Le village de l’Île Ward: Une communauté qui aime son isolement

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Publié 04/08/2015 par Laura Mendez

Qui sont ces gens qui habitent juste en face, l’autre côté du lac, que nous ne croisons jamais mais à qui nous rendons visite quand nous nous promenons sur les îles de Toronto? Qui sont ces îliens qui ont décidé de s’installer loin du vacarme urbain?

L’île Ward de Toronto compte encore aujourd’hui quelque 720 habitants. C’est un espace paradisiaque mais défini par des règles strictes: pas de voiture, pas de magasin et les maisons ne peuvent être léguées qu’aux descendants des propriétaires ou à leur époux(se).

Dans le cas où l’une de ces maisons ne connaît pas d’héritier, tous les Canadiens peuvent alors tenter leur chance. Elle reviendra à l’une des personnes inscrites sur une liste limitée à 500 prétendants.

«Je me suis inscrit en 1994, et je n’avais qu’à payer 25$ chaque année pour garder ma place dans la liste», témoigne Ben, heureux retraité et résident de l’île, rencontré par L’Express la semaine dernière.

«Il y a quatre ans, j’ai eu une opportunité et, avec ma femme, on n’a pas hésité. C’était mon rêve!»

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À 62 ans, il vit un quotidien paisible loin de l’effervescence de la ville et du bruit des voitures: «J’aime cette tranquillité, je m’occupe du jardin, les habitants de la ville sont très ouverts et amicaux. En ville, les gens sont trop pressés et focalisés sur leurs objectifs personnels», ajoute-t-il.

S’il y a un endroit où s’épanouir, c’est ici, assure-t-il avec un large sourire. Après une sieste d’après déjeuner, il aime se rendre à la fête de l’église de temps à autre, où se retrouvent les habitants pour danser.

«J’adore l’endroit, c’est très particulier une église perdue dans la forêt et… pas besoin d’être croyant pour y participer! Sur l’île, j’ai l’impression d’être détaché de tous les problèmes que je pouvais avoir avant.»

Des stratégies pour rester

D’après Ben, certains sont prêts à tout pour y rester. En cas de divorce, certains couples se lancent à la recherche d’un nouveau partenaire présent sur l’île pour ne pas la quitter.

«C’est très drôle, ces histoires m’amusent mais c’est vraiment arrivé plusieurs fois ici!»

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Deux à trois fois par semaine, l’ancien jardinier chevauche son scooter, prend le ferry et rejoint la ville pour faire ses courses. C’est son quotidien depuis 4 ans pour «survivre» sur l’île. Parfois, il rejoint quelques amis le temps d’un café, mais chaque fois qu’il revient, il est heureux de rentrer chez lui et réalise la chance qu’il a.

Et l’hiver alors? Comment ça se passe?

Pendant deux mois, l’année dernière, le lac est resté gelé, donc inaccessible. À moins d’avoir un garde-manger massif ou envie de commencer un nouveau régime, les habitants doivent se montrer chaque année assez téméraires pour atteindre la ville…

Rien à faire

Privilégiés vous disiez? Kaeli Flanagan, elle, donnerait bien sa place à quelqu’un d’autre. «Pour les ados c’est un vrai défi de vivre ici. Je ne connais que quatre personnes de mon âge sur l’île, et pourtant j’ai grandi ici depuis que j’ai 3 ans.»

À 17 ans, la jeune fille vient de quitter l’école secondaire, mais aussi tous les inconvénients qui vont avec: «L’hiver quand le lac est gelé, on doit prendre le bus jusqu’à l’aéroport, après le métro puis le streetcar… C’est épuisant et lassant juste pour aller à l’école. Et mes amis ne veulent pas venir ici parce qu’il n’y a rien à faire, alors je dois me déplacer à chaque fois, prendre le ferry et tout le reste…»

L’unique école de l’île est accessible aux enfants du primaire, Kaeli se voit donc dans l’obligation de surmonter cette épreuve depuis dix ans.

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En ce qui concerne leur moyen de transport, pas d’avantages particuliers pour ces locaux, sinon une réduction de 25% sur les tarifs du traversier.

Décontracté

A contrario, John, le père de Kaeli, se délecte de cette vie à l’écart de la ville: «Les gens sont très agréables et tranquilles ici. Avec cinq couples d’amis d’ici, on se rejoint tous les mercredis pour un apéritif dînatoire en plein air, face à la vue», raconte-t-il.

Pour le nouvel an, beaucoup se rendent dans la grande salle commune pour fêter ensemble.

«L’ambiance est très bonne en général, il me semble ne connaître personne qui a déjà vécu un conflit ici… Les gens savent prendre leur temps, ils sont assez décontractés», explique ce professeur de mathématiques.

Jusque dans les années 1940, les locaux de l’île connaissaient un afflux de touristes beaucoup plus important, et il existait même plusieurs grands hôtels, du côté de Hanlan’s Point où se trouve maintenant l’aéroport.

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Le gouvernement de l’Ontario a décidé de détruire tous les hôtels touristiques et de déplacer toutes les maisons vers l’île Ward.

Ce sont bientôt les habitants qui seront éradiqués: «Les dirigeants politiques veulent que tous les habitants aient quitté l’île en 2092. À partir de cette année-là, toutes les maisons seront détruites. Le gouvernement veut que l’île reste un endroit uniquement naturel, avec ses parcs et sa faune distincte», explique-t-il.

C’est une nature d’ailleurs parfois hostile, selon le professeur de mathématiques. Tout en racontant son quotidien d’îlien, il s’arrête dans un champ et montre du doigt une simple feuille semblable aux autres: «C’est du sumac vénéneux. Il ne faut surtout pas le toucher. En quelques minutes, la piqûre provoque un gonflement énorme.»

Les tiques, également très présentes sur l’île, peuvent vous transmettre la maladie de Lyme.

Ancien sans abri

Un peu plus loin, voilà l’autre voisin de M. Flenagan, dont l’histoire n’est pas banale. Il vivait sous les ponts pendant de nombreuses années quand une des habitantes de l’île lui a suggéré de changer de vie. Elle l’a emmené et a fait de lui son compagnon de vie sur l’île. Cinq ans plus tard, elle rejoint les cieux. Depuis, il vit dans la même maison, et chaque jour, l’ancien sans abri veinard s’intègre un peu plus…

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«C’est une personne sur qui on peut vraiment compter. Toujours là quand vous avez besoin de lui ou quand vous portez une cagette de fruits trop lourde…», lance John, avec un regard doux.

À croire que cette île est utopique. Mais il existe des clans sur l’île! D’après le professeur, certains résidents sont très pauvres, d’autres très aisés. Le groupe des bateaux à moteur fréquente peu le gang des voiliers… «Nous buvons de la bière, eux du vin… On discute, on s’entend très bien, mais il y a une sorte de sélection naturelle», confirme une autre îlienne, Abbie, en amarrant son bateau moteur au yacht club de l’île Ward.

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