Le surplus budgétaire de Toronto, «une gestion surréaliste»

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Publié 16/03/2010 par Vincent Muller

«On comble un déficit de 821 millions $, on annonce un surplus et on retrouve encore 100 millions $ comme ça. C’est le reflet de leur incompétence», affirme Gilles Duranton, professeur d’économie à l’Université de Toronto, spécialiste en économie urbaine. En entretien avec L’Express, il réagissait aux propos de David Miller qui annonçait mercredi dernier un surplus budgétaire de 104.8 millions $
de plus que prévu.

Alors que l’on parlait mi-2009 d’un déficit de 821 millions $, la ville estimait en octobre son surplus à près de 90 millions $ pour arriver finalement, mi-février, à une nouvelle estimation de 219 millions $.

À ces 219 millions $ ce sont ajoutés 31 millions $ provenant d’économies réalisées durant la grève des éboueurs cet été. La ville s’était également débrouillée pour trouver, en plus de cela, 172 millions $ d’économies pour le prochain budget.

Si le surplus annoncé en février avait déjà surpris beaucoup de monde, David Miller a laissé de nombreux Torontois perplexes en sortant 104.8 millions $ supplémentaires de son chapeau grâce auxquels l’augmentation des taxes de propriétés sera moins importante que prévu (2.9% au lieu des 4% prévus initialement).

Opération et infrastructures

Vu l’impression de complexité donnée par l’équipe de David Miller à la gestion du budget, nous sommes d’abord revenus, avec Gilles Duranton, sur les bases du fonctionnement du budget municipal.

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«Le budget annuel est toujours fait sur des prévisions. Il y a un mois et demi, la proposition pour le budget du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 était de 9.2 milliards $ contre 8.7 milliards pour le précédent.»

«Le budget de la ville contient deux volets, le budget d’opération, qui est le plus important en terme quantitatif et sert à payer entre autres les employés municipaux et les coûts d’opération de la TTC, et le budget d’infrastructure destiné aux nouveaux aménagements urbains, comme la construction de nouvelles lignes de tramway par exemple.»

Ce qui complique les choses pour le budget d’opération est qu’il est soumis à des imprévus. Cette année, il a bénéficié de dépenses moins importantes, notamment grâce à un hiver moins rude qui a permis d’économiser au niveau des services de déneigement et également de la grève des éboueurs qui a permis d’économiser avec le non-versement des salaires.

En ce qui concerne le budget d’infrastructure, il arrive normalement après le budget d’opération dans la mesure ou il dépend en partie des budgets des gouvernements fédéral et provincial qui participent en partie au financement de projets du gouvernement municipal.

Par définition un budget est donc soumis à des imprévus et les dépenses peuvent être plus importantes, en cas de catastrophe par exemple, ou moins importantes et engendrer un surplus si certains paramètres pris en compte lors de son établissement n’interviennent pas.

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Fonds de réserve

Ce qui surprend Gilles Duranton ce n’est donc pas le fait d’avoir un surplus, mais d’annoncer un déficit aussi important, pour ensuite le combler puis annoncer un premier surplus et enfin, quelques semaines plus tard, en annoncer un autre encore plus important: «On comble un trou de 821 millions $,
on retrouve 100 millions $ comme ça… puis l’excédent qu’ils annoncent me parait un peu énorme, près de 350 millions $, ça veut dire qu’ils ne contrôlent pas leur truc, ils devraient avoir une idée plus précise.»

En effet, la façon dont sont gérées les finances de la ville semble assez trouble: «Il y a des rumeurs persistantes sur des fonds de réserve qui auraient servi pour des choses auxquelles ils n’étaient pas destinés. Plusieurs fois par le passé, Shelley Carroll (chef du budget) ne s’est pas cachée qu’il y a eu des manœuvres. Puis une organisation bien gérée ne peut pas trouver cette somme en quelques mois, c’est une gestion surréaliste, c’est de l’incompétence pure.»

Pour lui, l’un des principaux problèmes est que le poste de chef du budget est politique, «comme tous les postes importants à la mairie de Toronto», et que les personnes qui les occupent n’ont pas les compétences nécessaires.

Il n’hésite pas à pointer du doigt l’incohérence d’un discours purement politique: «Ils disent que pour faire une ville de classe internationale il faut payer les services, mais les services n’ont rien à voir avec les rentes des employés municipaux. Ils répètent sans arrêt que la taxe de propriété est la plus basse du Grand Toronto, mais la valeur des propriétés est beaucoup plus élevée donc la comparaison n’a aucun sens.»

Mauvaise situation à long terme

Certes il y a un surplus, mais ne nous réjouissons pas trop vite: «C’est une surprise budgétaire sur l’année en cours, mais la situation est très mauvaise. Avec la récession les recettes fiscales baissent et les dépenses augmentent, notamment celle de l’assurance chômage.»

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Mais il ne faut pas s’en prendre uniquement à la ville: «La réforme structurelle du gouvernement conservateur de Mike Harris il y a 10 ans, qui a réduit les dépenses sociales de la province aux dépens des municipalités, n’aide pas Toronto qui doit gérer des problèmes de pauvreté plus importants.»

Et pour couronner le tout, d’après l’économiste, «Miller a donné tout ce qu’il pouvait aux syndicats». Les salaires des employés municipaux, déjà très concurrentiels par rapport à ceux du privé, ont en effet augmenté à peu près trois fois plus que le salaire moyen entre 2002 et 2008.

Selon Gilles Duranton, déficit et surplus ne sont pas incompatibles. Toronto est toujours en déficit structurel, c’est-à-dire qu’en gardant la même structure de recette fiscale, les dépenses augmentent plus vite, ce qui oblige la ville à trouver sans arrêt de nouvelles sources de recettes. «À long terme le budget augmente de 40%, c’est dû à la planification de David Miller», explique l’économiste.

Le déficit structurel a atteint 313 millions $ cette année et devrait atteindre 469 millions $ en 2011.

Réaction des candidats

Dès l’annonce de David Miller, les candidats à la mairie, mis à part Joe Pantalone, proche du maire, n’ont pas manqué de dénoncer la manière dont est géré le budget, qui augmente d’année en année sans être accompagné de meilleurs services.

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Interrogé sur la pertinence de vendre Hydro Toronto et de déléguer certains services à des sociétés privées, comme le souhaitent certains candidats, Gilles Duranton estime qu’«il n’y a aucune raison que ce soient les employés municipaux qui assurent tous les services publics, surtout qu’ils ont des salaires très nettement supérieurs au marché».

Concernant la vente d’Hydro Toronto, souhaitée par Rocco Rossi, l’économiste estime que «ce n’est pas absurde, mais il y a des détails techniques qui compliquent les choses, on ne vend pas une société d’électricité comme ça, puis la province va prélever un impôt».

Il souligne également qu’en théorie «on ne vend pas des actifs permanents pour financer des mesures temporaires».

Malgré les alternatives proposées par les candidats, Gilles Duranton n’est pas très optimiste: «À Toronto le maire est moins faible que dans certaines villes, mais le vote des projets est soumis au Conseil municipal, donc si des gens comme Giambrone et Pantalone sont toujours là, le nouveau maire aura du mal à mettre en place certaines choses.»

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