Le suicide d’un retraité bouleverse la Grèce

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Publié 05/04/2012 par Demetris Nellas (The Associated Press)

à 13h23 HAE, le 7 avril 2012.

ATHÈNES, Grèce – Quelque 2000 personnes ont assisté samedi à Athènes aux obsèques d’un retraité grec, qui s’est suicidé mercredi dans la capitale en invoquant des problèmes financiers liés à la politique d’austérité. Une manifestation à l’issue de la cérémonie a dégénéré et des protestataires ont molesté un policier.

Dimitris Christoulas, un pharmacien à la retraite de 77 ans, s’est tiré une balle dans la tête mercredi sur la place Syntagma devant le Parlement en plein centre d’Athènes.

Il a laissé une lettre accusant les responsables politiques de ses problèmes financiers, expliquant que sa pension de retraite ne lui permettait pas de survivre. « Je ne vois pas d’autre solution qu’en finir dignement avant de devoir commencer à faire les poubelles pour manger », a-t-il écrit, en appelant les Grecs à se révolter et « pendre les traîtres ».

En pleine crise de la dette et mesures d’austérité drastiques prises par le gouvernement, son décès a suscité une vive émotion en Grèce. Quelque 2000 personnes ont assisté samedi à la cérémonie d’obsèques, non religieuse, au cimetière municipal d’Athènes. « Ce n’est pas un suicide, c’est un meurtre », « Pain, éducation liberté », « Ne votez pas pour eux, la seule solution de sortie est une nouvelle révolution », ont notamment scandé les personnes présentes.

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Emy Christoulas, la fille du défunt, a souligné que son père s’était battu contre les mesures d’austérité, manifestant avec les « Indignés » ou le collectif « Je ne paierai pas ».

« Papa, tu ne pouvais pas supporter qu’ils prennent notre démocratie, notre liberté, notre intégrité. Tu ne pouvais pas supporter l’apartheid économique et social qui nous cerne. Tu ne pouvais comprendre qu’ils aient donné notre souveraineté et les clés du pays » aux bailleurs internationaux de la Grèce, a-t-elle déclaré dans son discours d’adieu.

Markos Basioukas, du collectif « Je ne paierai pas », lui a promis de « poursuivre la bataille ». A l’issue de la cérémonie, quelques centaines de manifestants se sont dirigés vers la place Syntagma, où des fleurs, bougies et messages d’adieu ont été déposés depuis mercredi sous un arbre à l’endroit où Dimitris Christoulas s’est suicidé.

Une douzaine de manifestants, qui avaient repéré deux policiers sur la place, ont enfilé des cagoules et s’en sont pris aux deux hommes. L’un a pu s’échapper mais l’autre a été jeté à terre et frappé pendant environ trois minutes. Les attaquants lui ont enlevé son gilet pare-balle et un sac contenant une ceinture, un uniforme et une paire de menottes, qui ont rejoint le mémorial improvisé sous l’arbre.

Le policier, le visage en sang, est parvenu à rejoindre un car de police arrivé sur les lieux. Le fonctionnaire a été hospitalisé mais ses jours ne sont pas en danger, a précisé un responsable de la police.

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Mercredi, plus de 1500 manifestants s’étaient réunis sur la place en accusant les politiciens de pousser la population vers le désespoir avec les réductions budgétaires radicales mises en place pour que la Grèce obtienne des plans de sauvetage internationaux.

Selon le texte de la note du suicidé, publié par des médias grecs, l’homme a déclaré que le gouvernement ne lui permettait pas de survivre avec les prestations de retraite pour lesquelles il a contribué pendant 35 ans.

«Je ne vois pas d’autre solution qu’une fin digne avant de commencer à fouiller dans les poubelles pour trouver de la nourriture», disait la note, selon les médias grecs. La police n’a pas voulu confirmer l’authenticité du message.

Le suicide a bouleversé l’opinion publique et s’est rapidement immiscé dans le débat politique. Le premier ministre et les chefs des deux partis qui appuient la coalition au pouvoir ont exprimé leur chagrin.

«Un pharmacien devrait pouvoir vivre confortablement avec sa pension de retraite», a dit Vassilis Papdopoulos, porte-parole d’un mouvement citoyen opposé aux mesures d’austérité qui a organisé la manifestation. «Qu’il ait atteint le point du suicide à cause des difficultés économiques a une grande signification. Cela montre à quel point le tissu social se désintègre.»

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La Grèce dépend des prêts internationaux depuis mai 2010. Pour les obtenir, le gouvernement a mis en place de difficiles mesures d’austérité et coupé les salaires et les prestations de retraite, tout en augmentant les taxes. Les mesures ont aggravé la récession et provoqué des milliers de pertes d’emploi. Un Grec sur cinq est désormais au chômage.

«En tant que Grec, je suis véritablement choqué», a dit Dimitris Giannopoulos, un médecin d’Athènes, avant la manifestation. «Je suis choqué parce que je vois que (le gouvernement) détruit ma dignité (…) et la seule chose dont il se soucie, ce sont les comptes bancaires.»

La Grèce a assisté à une augmentation du nombre de suicides depuis deux ans, une période pendant laquelle le pays s’est plusieurs fois retrouvé au bord de la faillite.

Mercredi soir, des dizaines de messages avaient été épinglés sur l’arbre sous lequel le corps du pharmacien a été trouvé.

«C’était un meurtre, pas un suicide», «L’austérité tue», pouvait-on lire.

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Des centaines de manifestants ont marché de la place Syntagma jusqu’au parlement en scandant «Ce n’est pas un suicide, c’est un meurtre perpétré par l’État» et «Le sang coule et veut sa revanche».

L’organisateur de la manifestation, Vassilis Papdopoulos, a estimé que le suicide du pharmacien montrait que les Grecs n’en peuvent plus de l’austérité.

«Ce suicide est de nature politique et porte une grande charge symbolique. Ce n’est pas comme un suicide à la maison», a-t-il dit lors d’une entrevue téléphonique. «Il y a avait une note de suicide politique et cela s’est produit devant un lieu clairement politique, le parlement, où les mesures d’austérité ont été approuvées.»

Le premier ministre Loucas Papademos a diffusé un communiqué au moment où les manifestants se rassemblaient sur la place Syntagma.

«Il est tragique que l’un de nos compatriotes mette fin à sa vie», a-t-il dit. «En ces temps difficiles pour notre société, nous devons tous soutenir ceux d’entre nous qui sont désespérés.»

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Le porte-parole du gouvernement, Pantelis Kapsis, a qualifié l’incident de «tragédie humaine» mais a estimé qu’il ne devait pas s’inscrire dans le débat politique.

Le chef du Parti socialiste, Evangelos Venizelos, a déclaré que le suicide était si troublant qu’il rendait «tout commentaire politique inconvenant».

«Réfléchissons sur l’état du pays et sur notre société en termes de solidarité et de cohésion», a dit M. Venizelos, qui a été ministre des Finances pendant huit mois avant de démissionner pour diriger le Parti socialiste.

Le chef du Parti conservateur, Antonis Samaras, a estimé que la tragédie mettait en évidence l’urgence de sortir la Grèce de la crise.

«Malheureusement, ce n’est pas le premier (suicide). Ils ont atteint un niveau record», a-t-il dit.

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