La première chose qui nous frappe, quand on découvre les Singes Bleus sur scène, c’est leur singulière relation à ce répertoire qu’ils ont adopté, une relation caractérisée par d’égales mesures de respect et d’irrévérence, du désir de rendre hommage aux monstres sacrés de la chanson (Brel, Brassens, Piaf, Dutronc, Nougaro, Barbara) et du besoin de les faire passer dans leur colimateur, quitte à nous les rendre méconnaissables. Bref, pas question pour eux de singer leurs modèles, si vous permettez le jeu de mots.
«Transformer les chansons, ce n’est pas vraiment forcé ou conscient», explique le saxophoniste et chanteur Jean-François Gouin, un Toulousain de souche qui a élu domicile à Toronto en 2000 pour fonder son quintette anthropoïde deux ans plus tard. «Ça nous plaît que le résultat soit différent, mais au départ, il y a un respect de l’intégrité de la chanson. Si tu écoutes Amsterdam, par exemple, l’énergie qu’on y met n’est pas très loin de ce que Brel essayait de faire.»
Justement, c’est sur cette ode à la faune portuaire qu’ouvre le premier CD du groupe, capté – ou capturé – en direct au Club Tranzac en novembre dernier. Et les Singes Bleus y balisent avec panache leur terrain stylistique: suivant une longue intro qui évoque le jazz modal des années 60 (et qui fait la part belle au cornet en sourdine de Beth Washburn), Gouin déclame ce texte coup de poing d’une voix à la fois fiévreuse et lasse, à mi-chemin entre le grand Jacques et Leonard Cohen.
L’effet déconcerte ou séduit, mais ne laisse pas indifférent. Et même si l’on peut se demander si cette façon qu’il a d’esquiver la note juste, tant de sa voix qu’au saxo, constitue un effet conscient ou un dérapage incontrôlé, il faut reconnaître que sur le plan émotionnel, Jean-François Gouin habite son répertoire avec une force de conviction peu commune.
Mais si les Singes Bleus s’octroient une grande liberté sur le plan de l’interprétation (entre leurs mains, Johnny, tu n’es pas un ange de Piaf devient une manière de trip hop monocorde et amer, tout en gardant sa dimension théâtrale), l’instrumentation reflète un strict parti-pris acoustique, qui n’est pas sans rappeler Paris Combo ou, par moments, les récréations jazzantes de Brassens aux côtés de Moustache et Cie, surtout quand le guitariste Rizaldo Padilla s’adonne aux plaisirs du swing manouche.