Le ras-le-bol de la Super Maman

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 06/04/2010 par Nathalie Prézeau

Les blogues sont arrivés en douce vers les années 2006-07, puis en force en 2008. L’un des énormes avantages? La démocratisation des procédés de diffusion. Plus besoin de cajoler un éditeur pour publier ses oeuvres (ni de répondre à ses arguments que notre projet de livre en français n’a pas de marché suffisamment grand au Canada pour être rentable). On appuie sur «Enter» et voilà notre blogue qui s’envole gratuitement. Ça permet tout à coup à des « mères indignes » de douter à voix haute de ce rôle de femme parfaite que la société leur a octroyé, avec leur propre accord.

Le phénomène de Mère indigne au Québec

Caroline Allard a lancé son blogue Chroniques d’une mère indigne en mars 2006. En 2009, elle publiait avec grand succès deux recueils aux sous-titres évocateurs (Une vie sale parsemée de couches bien remplies. À moins que ce ne soit l’inverse? et Décapons le quotidien, une couche à la fois). Radio-Canada diffusait en ligne des « webisodes » (mettant en vedette Mari-Hélène Thibault et rien de moins que le beau Stéphane Archambault, chanteur du groupe Mes Aïeux, dans le rôle de Père indigne), reprenant presque mot pour mot les scénarios explorés dans les blogues iconoclastes de l’auteur.

À en juger les commentaires générés par les blogues de Caroline, le Québec avait grand soif de son plaidoyer contre les sacro-saints préceptes du parent parfait qui nous condamne «à la culture du secret envers le pédiatre ainsi qu’à un sentiment de culpabilité débilitant».

Le personnage de Mère indigne est complètement irrévérencieux. Elle a continuellement recours aux bonbons pour soudoyer ses enfants. Elle utilise tous les subterfuges pour se replonger dans ses romans policiers, petit rouge à portée de la main. Elle fait sans cesse des affirmations commençant par «moi, je vous dis franchement, en tant que parent, je ne crois plus tellement», suivies d’explications hilarantes pourquoi elle ne croit plus aux vacances, à l’élégance, à la science, à la santé mentale, à l’honnêteté…

Publicité

Loin d’elle l’ambition d’apporter des solutions à nos névroses modernes. Elle se contente de nous servir des anecdotes pour nous aider à mesurer la distance entre notre «vraie vie» et le modèle qu’on a idéalisé. En être consciente et, surtout, être capable d’en rire, est déjà un bon pas vers une santé mentale enviable.

C’était déjà dans l’air

Plusieurs auteures anglophones avaient déjà entrepris cette croisade avant Mère indigne. Dès 2004, je remarquais la profusion de livres rigolos écrits par de drôles de mères qui remettaient en question notre recherche de la perfection. Je pense entre autres à The Three-Martini Playdate, Confessions of a Bad Mother suivi de Confessions of a Failed Grown-Up, et mes grands favoris: Confessions of a Slacker Mom et son complément Confessions of a Slacker Wife de Muffy Mead-Ferro. (Ça fait beaucoup de confessions! On en avait gros sur le coeur.)

Muffy Mead-Ferro est mon chouchou parce qu’en bonus à ses anecdotes amusantes, elle nous offre des propos philosophiques sur l’impact de nos névroses sur notre famille. Avez-vous déjà réfléchi aux aptitudes que développent les enfants de familles où il n’y a qu’une salle de bain, qu’un seul poste de télévision ou qu’un seul ordinateur? La concession, la négociation, la patience, le respect d’autrui… la liste est longue. Pas exactement le lot de pauvres enfants dépravés.

Dans un moment de clarté notable, l’auteur a réalisé que le point d’origine de la longue chaîne menant à des enfants insatiables en désirant toujours plus est le jour où elle a placé une assiette «My Little Pony» devant sa fille. La crise de sa petite quand «son» assiette n’était pas disponible est la goutte qui fit déborder le vase. Maintenant, chez les Mead-Ferro, toute la vaisselle est verte. Ton assiette est celle avec laquelle tu manges en ce moment. C’est juste une assiette, pas une déclaration de ton identité!

Modèles si irréalistes que ça?

Depuis les années 90, la barre est devenue réellement trop haute. Si on mettait bout-à-bout tout ce qui devait être accompli, tel que dicté par les magazines, une mère digne de ce nom se devrait d’être experte sur toutes les étapes de développement des enfants (c’est à dire suivre à la lettre ce que tous les experts de l’heure prescrivent sur le sujet), de tenir une maison zen et cliniquement aseptisée (si elle aime réellement ses enfants) et de créer des événements inoubliables à la Martha Stewart (centres de table thématiques compris).

Publicité

Une vraie femme en contrôle se doit d’afficher une grossesse et une taille post-accouchement à la Demi Moore (voir les photos de l’actrice parues dans les célèbres pages couvertures de Vanity Fair en 1991 et 1992). Et surtout, elle se doit de vivre sa maternité dans un état euphorique à la Julia Roberts avec ses jumeaux (ou toute autre célébrité-mère affirmant qu’être mère était le plus beau métier du monde). Si de telles femmes déclarent ce rôle supérieur aux carrières de rêve qui leur ont procuré célébrité et richesse, quelle mère inconsciente de son bonheur oserait dire que de temps en temps une sortie avec les copines loin des petits monstres, ça fait drôlement du bien!

Et nos mères?

L’été au chalet de mon enfance, ma mère prenait d’interminables cafés avec ses nombreuses soeurs et belle-soeurs tandis qu’on se baignait sans surveillance avec les cousins, qu’on construisait des cabanes dans les arbres avec des vrais clous rouillés et de véritables marteaux, et qu’on faisait fondre des craies de cire entre deux feuilles de papier avec le fer à repasser bien chaud.

Elle avait accès à une mine d’or d’informations sur ce qui passait dans les autres familles. Les copines ne se comparaient pas à une traiteur milliardaire, à une star avec multiples nannies et chef-cuisinier, ni à une actrice avec entraineur professionnel. Elles comparaient des oranges avec des oranges.

Les blogues à la rescousse

De nos jours, on n’a plus dix frères et soeurs. Un plus grand pourcentage de mères travaillent à temps plein et elles ont moins d’interactions avec les autres mères. Celles qui restent à la maison doivent souvent attendre la venue du printemps pour retrouver leurs consoeurs dans le parc local. Ajoutons à ceci l’invasion des modèles de perfection dans tous les médias et on obtient une génération de mères qui se sentent coupables de ne pas être à la hauteur.

Les blogues (avec leur place aux commentaires) ont fait éclater cette isolation, permettant aux mères d’afficher leur point de vue et de lire celui des autres sur une foule de sujets qui leur sont chers. Il y bien sûr le fameux bloque de Mère indigne mais bien d’autres blogues en français méritent un détour: les (Z) imparfaites (deux mères parfaites mais un peu zinzin), Imparfaites, et alors? (créé par les deux auteures d’un livre du même nom endossé chaleureusement par Mère indigne), Mamamiiia (l’état de la mère ou la mère dans tous ses états), La marâtre joyeuse (la vie d’une pas-très-méchante belle-mère).

Publicité

À force d’être exposée aux travers et déboires des autres mères dans leur aspiration à une perfection impossible qui leur assurerait (pour quelques instants) le statut de «Wonder Woman», on finit par comprendre qu’il s’agit d’une illusion menant à la course folle. C’est pas avec cette attitude qu’on arrivera à terminer nos romans policiers tranquille!

(Cet article sert de complément à ma toute première chronique Famille diffusée sur les ondes de TFO dans le cadre de l’émission d’actualité Panorama du 1er février 2010. Pour en savoir plus sur le guide Toronto Fun Places, 4e édition, dont je suis l’auteure, cliquez ici. Pour consulter les blogues en archives, consultez On arrive-tu?)

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur