Le «N’oublions jamais» de John Burge

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Publié 07/04/2009 par Dominique Denis

Dans ce métier de critique, où les nouveautés se bousculent à la porte d’entrée au point d’en pousser d’autres vers la porte de sortie, il est des disques que l’on regrette de ne pas avoir pu aborder au moment opportun. Dans le cas du Flanders Fields Reflections (Marquis Classics), du compositeur canadien John Burge, l’idéal eût été d’en parler autour du 11 novembre dernier, puisque cette œuvre commandée et créée par le Sinfonia Toronto est le fruit d’une réflexion sur le poème de John McCrae (1872-1918), qui capture en quinze vers d’une bouleversante sobriété toute l’horreur de la Première Guerre mondiale.

Bien sûr, il eût été possible pour Burge de mettre le texte de McCrae en musique – d’autres l’ont fait, avec plus ou moins de succès – mais le compositeur a choisi de baser Flanders Fields Reflections sur cinq courts passages (The Poppies Blow, Still Bravely Singing, We Are the Dead, Loved and Were Loved et We Shall Not Sleep), qui deviennent les cinq mouvements d’une suite pour orchestre à cordes, où l’on perçoit clairement la dette de John Burge envers le britannique Benjamin Britten

Mais il arrive que l’œuvre fasse écho à l’écriture de Shostakovich, particulièrement dans le mouvement Still Bravely Singing, dont les accents rageurs – ou désespérés? – évoquent quatuor à cordes no 8 du compositeur soviétique. L’effet d’ensemble, comme celui de l’écoute d’un requiem, impose le silence et le respect.

L’album est complété de deux œuvres réussies mais moins puissantes, le charmant Upper Canada Fiddle Suite et le sinueux One Sail, porté par le chant fougueux du violoncelle de Shauna Rolston.

Pris comme un tout, l’album forme un argument convaincant pour les défenseurs d’une musique qui renouvelle l’idiome classique sans recourir à l’atonalité, ni déraper dans le minimalisme extrême ou, à l’autre bout du spectre, dans la saturation sonore.

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À chacun son Bach

Dernière grande œuvre de Jean-Sébastien Bach, la Messe en si mineur fut complétée en 1749, un an avant la mort du compositeur, et ne fut jamais interprétée de son vivant. En fait, il fallut plus d’un siècle avant que le public européen découvre enfin cette partition en laquelle un éditeur du XIXe siècle vit «la plus grande œuvre musicale de tous les temps et de tous les peuples».

Du fait de sa redécouverte à l’époque où orchestres et chœurs avaient pris des proportions titanesques (pensez à ces Messies de l’ère victorienne, avec leurs centaines de choristes), la Messe en si mineur fit longtemps l’objet de lectures où la masse sonore primait sur la clarté contrapuntique. Et compte tenu du manque d’indications précises de la part du compositeur, chaque interprétation de la partition reflète la sensibilité et la formation particulières de celui ou celle qui la dirige.

Tantôt, la partition semble plier sous le poids des forces déployées et des tempi solennels, tandis qu’ailleurs (la version de Joshua Rifkin, gravée en 1983 avec seulement cinq solistes), tout semble mis en œuvre pour célébrer le génie contrapuntique de Bach.

Ayant évolué aux côtés de Philippe Herreweghe dans sa Chapelle Royale, Marc Minkowski illustre à sa façon la possibilité d’atteindre la grandeur à une petite échelle.

S’inscrivant dans le sillage de recherches musicologiques qui eurent pour effet de sortir Bach de l’esthétique du XIXe siècle, sa récente version de la Messe en si mineur (Naïve/Distribution Naxos), réalisée avec les Musiciens du Louvre–Grenoble et un ensemble de dix soliste, écarte complètement le chœur au profit d’une approche où les solistes forment un ensemble choral d’où chaque voix émerge tour à tour.

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Comme l’explique Minkowski, toute la pensée musicale de Bach était polyphonique, ce qui s’applique autant aux partitas pour violon seul qu’à la Messe en si mineur, une œuvre «si dense, si complexe, si vertigineuse, qu’elle gagne, à mon avis, en grandeur par le recours à des solistes».

Il en résulte une interprétation limpide et vigoureuse, qui mérite une place de choix parmi les nombreuses lectures du chef d’œuvre du maître de Leipzig.

Gould le compositeur

Lorsqu’il nous a quittés à 50 ans, en 1982, le pianiste torontois Glenn Gould s’apprêtait à aborder une nouvelle phase de sa carrière.

Après une douzaine d’années d’une vie de concertiste qu’il détestait, Gould s’était retiré dans l’intimité des studios d’enregistrement dès 1964 (soit deux ans avant les Beatles, et pour certaines des mêmes raisons).

Après avoir réenregistré les Variations Goldberg en 1981, il avait annoncé qu’il prévoyait se pencher davantage sur la direction d’orchestre – il dirigerait un magnifique enregistrement du Siegfried Idyll de Wagner en juillet 1982 – pour ensuite revenir à la composition.

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C’eût été l’occasion de renouer avec une activité qu’il avait délaissée presque totalement suivant la création de son opus 1, le Quatuor à cordes enregistré en 1960 par un ensemble tiré des rangs de l’orchestre symphonique de Cleveland.
Tristement, hormis l’amusant So You Want To Write A Fugue?, le quatuor est presque le seul legs de Gould le compositeur. Écrite dans la veine de Bruckner et Richard Strauss, l’œuvre étonne par son anachronisme, que le compositeur assumait sans complexes («Ma profonde admiration pour la musique de Schoenberg», expliquait-il, «n’a jamais eu pour corollaire une irritation face à la musique romantique des compositeurs viennois de la génération précédente»).

Malgré son charme et ses indéniables qualités formelles, le Quatuor de Gould n’a que très rarement été repris depuis 1960, et en ce sens, l’interprétation très atmosphérique que nous en fait le Quatuor Alcan sur Glenn Gould – Ernest MacMillan: String Quartets (ATMA Classique) n’en est que plus précieuse.

Cela dit, il devient vite évident, à l’écoute de ce nouvel enregistrement, que les deux œuvres de MacMillan (un quatuor en do mineur et deux esquisses basées sur des thèmes du folklore canadien-français), en constituent la véritable pièce de résistance, de par leur caractère plus achevé, ce qui est particulièrement vrai du quatuor, qui se situe au carrefour de Borodin et de Vaughan Williams.

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