Dans ce métier de critique, où les nouveautés se bousculent à la porte d’entrée au point d’en pousser d’autres vers la porte de sortie, il est des disques que l’on regrette de ne pas avoir pu aborder au moment opportun. Dans le cas du Flanders Fields Reflections (Marquis Classics), du compositeur canadien John Burge, l’idéal eût été d’en parler autour du 11 novembre dernier, puisque cette œuvre commandée et créée par le Sinfonia Toronto est le fruit d’une réflexion sur le poème de John McCrae (1872-1918), qui capture en quinze vers d’une bouleversante sobriété toute l’horreur de la Première Guerre mondiale.
Bien sûr, il eût été possible pour Burge de mettre le texte de McCrae en musique – d’autres l’ont fait, avec plus ou moins de succès – mais le compositeur a choisi de baser Flanders Fields Reflections sur cinq courts passages (The Poppies Blow, Still Bravely Singing, We Are the Dead, Loved and Were Loved et We Shall Not Sleep), qui deviennent les cinq mouvements d’une suite pour orchestre à cordes, où l’on perçoit clairement la dette de John Burge envers le britannique Benjamin Britten
Mais il arrive que l’œuvre fasse écho à l’écriture de Shostakovich, particulièrement dans le mouvement Still Bravely Singing, dont les accents rageurs – ou désespérés? – évoquent quatuor à cordes no 8 du compositeur soviétique. L’effet d’ensemble, comme celui de l’écoute d’un requiem, impose le silence et le respect.
L’album est complété de deux œuvres réussies mais moins puissantes, le charmant Upper Canada Fiddle Suite et le sinueux One Sail, porté par le chant fougueux du violoncelle de Shauna Rolston.
Pris comme un tout, l’album forme un argument convaincant pour les défenseurs d’une musique qui renouvelle l’idiome classique sans recourir à l’atonalité, ni déraper dans le minimalisme extrême ou, à l’autre bout du spectre, dans la saturation sonore.