Le «loup solitaire» pris entre folie et terrorisme

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Publié 04/11/2014 par Isabelle Burgun (Agence Science-Presse)

L’émoi retombe après la fusillade au Parlement d’Ottawa. Alors que de nombreux médias épinglent l’étiquette «terroriste» sur la chemise du jeune meurtrier Michael Zehaf-Bibeau, ne faudrait-il pas plutôt regarder du côté de la maladie mentale? Nous avons posé la question à Gilles Chamberland, médecin psychiatre de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal.

Les médias ont beaucoup parlé de «loup solitaire» et de «jeune terroriste». Que pouvez-vous nous dire sur la personnalité du jeune meurtrier Michael Zehaf-Bibeau?

Gilles Chamberland — Il faut prendre ce que l’on sait avec réserve, car il est décédé — il ne pourra donc pas être évalué — et les informations sont parcellaires.

Après une enfance normale et une longue consommation de drogues diverses, dont le PCP (un hallucinogène), ce jeune homme de 31 ans était assez isolé de sa famille et il était suivi en psychiatrie. Il se serait converti récemment à l’Islam et aurait agi de sa propre initiative en sacrifiant sa vie pour une cause qu’il embrassait de manière assez récente.

Selon moi, son geste est absurde. Et la réponse se révèle multifactorielle : il s’agit d’un acte terroriste causé par la maladie mentale.

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Pouvez-vous nous expliquer la distinction entre un terroriste et un tueur fou?

GC — C’est essentiellement une question de définition. Lorsqu’on parle de terrorisme, on pense tout de suite aux deux jeunes de l’attentat de Boston, bien préparés et organisés. Il existe cependant différents actes considérés terroristes. Pour Ottawa, il s’agirait plutôt d’un kamikaze prêt à sacrifier sa vie pour une cause.

L’endoctrinement religieux touche plus facilement des gens fragiles, déçus par la vie ou très en colère. Une «cause» rend légitime cette colère et valorise même le droit de faire du mal à autrui. Cet engagement prend toutefois de la patience et du temps. On ne retrouve pas ces éléments ici. Je ne crois pas non plus au lavage du cerveau par l’Internet et à l’endoctrinement rapide menant au changement de personnalité.

Par contre, si la personne est déjà malade, cela rend les choses plausibles. Michael Zehaf-Bibeau était plutôt perturbé et drogué, un état pouvant mener à la psychose.

La première théorie — celle du terrorisme — passe à côté de tout un pan d’explications. Le développement de la maladie, assez rapide, peut expliquer le caractère illogique de l’évènement – se présenter armé aux portes du Parlement est suicidaire! Je ne minimise pas le danger terroriste, mais un acte de folie rend toutefois les choses moins prévisibles, plus dangereuses et la prévention bien plus complexe.

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Quelles interventions doit-on privilégier dans un cas comme dans l’autre?

GC — Intervenir contre le terrorisme a déjà été fait: surveillance internet, retrait du passeport, etc. Pour les autres, la maladie évolue d’abord à bas bruit avant l’apparition des symptômes psychotiques. Ça peut aussi évoluer très vite et les premiers gestes posés peuvent déjà représenter un danger grave et immédiat.

La Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui a été élaborée pour les cas de suicide, mais c’est le même raisonnement pour les attaques à autrui. D’un point de vue médical, cela demande d’évaluer la personne et, s’il y a danger, un traitement approprié de plusieurs mois.

Comment les dépister et avec quels moyens agir pour prévenir d’autres attentats?

GC — Comme nous sommes dans un pays démocratique, il est difficile d’envisager de faire passer une évaluation psychologique à tout le monde. La prévention passe alors par la vigilance de l’entourage immédiat. Il y a toujours des indices lorsqu’il s’agit d’un geste assumé et posé par un terroriste. C’est plus difficile de prévenir un geste posé par quelqu’un de malade et souvent isolé.

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La mère de Michael Zehaf-Bibeau n’aurait pas eu de contacts avec lui depuis cinq ans. Et il était itinérant. Les travailleurs de rue auraient pu se rendre compte de son état, la descente de l’échelle sociale — un étudiant qui abandonne ses études, se retrouve dans la rue, consomme, etc. — étant connue, mais les chances de prévenir l’attentat étaient minces. Cette descente s’explique par la maladie ou l’engendre avec l’isolement et une dégradation des soins.

Il y a aussi la présence du délire religieux. Nous sommes habitués à en voir chez nos malades, plus chrétiens que musulmans. Nous avons moins de connaissances, mais c’est inévitable d’en voir plus souvent qu’avant dans nos services. Cela peut être associé avec de l’extrémisme violent, mais il s’agit surtout de maladie.

La même question se pose pour Martin Rouleau, le jeune Québécois qui a volontairement heurté avec sa voiture deux militaires à Saint-Jean-du-Richelieu, en début de semaine. Folie meurtrière ou endoctrinement terroriste?

GC — Dans le cas de Martin Rouleau, qui vivait lui chez son père, c’est le parcours classique de la schizophrénie comme on le lit dans nos manuels: un jeune au début de la vingtaine qui vit des revers (divorce, perte d’emploi, etc.) et développe la maladie. Décrit comme un jeune homme gentil, Martin Rouleau s’est engagé dans la religion islamique et n’a changé de personnalité que dans les derniers mois. On change d’opinion, de religion, mais pas si facilement de personnalité. Il faut donc trouver l’explication ailleurs, dans la maladie.

La maladie mentale n’a pas bonne presse. Pensez-vous que l’explication d’un attentat terrorisme – que l’on pourrait prévenir – n’est-elle pas la plus réconfortante?

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GC — Nous sommes préparés à faire face au terrorisme classique, comme celui de Boston. Ceux qui envoient des messages destinés à endoctriner des jeunes gens s’adressent à des personnes déjà convaincues du bien-fondé de leur cause. Pourtant, ces messages peuvent affecter aussi des personnes qui développent des maladies mentales et les influencer pour qu’ils agissent et se sacrifient pour cette cause. On se retrouve avec un message qui a encore plus d’impact, ce qui n’est pas rassurant.

Une petite fraction de la population, soit 1 %, plus fragile à la maladie mentale peut alors perdre facilement le contact avec la réalité : ces personnes développent des hallucinations ou entendent des voix. Lorsqu’elles lisent ce type de messages, elles peuvent se sentir directement concernées.

Je ne veux pas pour autant minimiser la menace terroriste, ni déresponsabiliser ceux qui embrassent les mouvements extrémistes en toute conscience — car ceux-ci ne sont pas malades. Je dis juste qu‘il ne faut pas passer à côté de ces cas où la maladie est le principal vecteur de ces attentats à saveur terroriste. C’est comme cela que nous pourrons tenter de les prévenir.

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