Le gouvernement Harper sabre dans les programmes pour minorités

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Publié 03/10/2006 par Yann Buxeda

Le 25 septembre dernier, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a annoncé que, dans le cadre de la contribution au remboursement de la dette nationale, des compressions budgétaires étaient amorcées pour de nombreux programmes socio-éducatifs et culturels.

Une annonce conjointe de Jim Flaherty, ministre des Finances et de John Baird, président du Conseil du Trésor, immédiatement condamnée par l’opposition libérale, les provinces et les communautés minoritaires, à commencer par la francophonie canadienne.

En cette fin d’exercice 2005-2006, l’heure est au bilan pour le gouvernement Harper, avec pour principal facteur de satisfaction un excédent budgétaire de plus de 13 milliards $. Une situation dont le fédéral compte profiter pour réduire la dette nationale, en investissant l’intégralité des fonds dans cet objectif.

De prime abord, l’initiative est louable. Mais au-delà de ce lourd investissement ponctuel, les détracteurs, aussi bien au niveau fédéral que provincial, élèvent leurs voix. Pour les premiers, il n’est question que d’une manoeuvre publicitaire à quelques mois d’éventuelles élections, et l’on déplore que le surplus d’argent ne soit pas investi dans la recherche d’une solution de réduction de la dette sur le long terme.

Pour les seconds, cet excédent met clairement en exergue le problème du déséquilibre fiscal, comme le souligne le Premier ministre de l’Ontario Dalton McGuinty: «La taille de l’excédent confirme ce que tous les premiers ministres des provinces disent […] qu’ils [le gouvernement fédéral] ont plus d’argent que de responsabilités, alors que nous avons plus de responsabilités que d’argent.»

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Difficile dès lors de comprendre les annonces de coupures budgétaires supplémentaires annoncées ces derniers jours par le gouvernement conservateur. Ainsi, 2 milliards $ supplémentaires seront consacrés à la cause de la dette nationale dans les deux années à venir, et de nombreux programmes se verront drastiquement amputés financièrement.

Des économies réalisées qui sont parfois légitimes, car certains programmes, à l’image du financement résiduel pour le différend commercial sur le bois d’oeuvre, n’ont plus lieu d’être. D’autres, malheureusement, traduisent une volonté ferme du gouvernement Harper de se lancer dans une collecte de fonds quitte à délaisser certains pans culturels et sociaux de côté, au mépris parfois des engagements constitutionnels.

Ainsi, des financements tels que le Programme de stages internationaux pour les jeunes (10,2 millions $) ou la Stratégie de lutte contre le tabagisme chez les Premières nations et les Inuits (10,8 millions $) seront tout bonnement supprimés. Idem pour le Programme d’aide aux musées (4,5 millions $ sur deux ans), qui était une composante essentielle pour assurer la conservation du patrimoine canadien.

Bien évidemment, la communauté francophone n’est pas exempte de restrictions et la suppression du Programme de contestation judiciaire est unanimement pointé du doigt.

Un pillier pour les minorités

Mis en place en 1994, ce système est l’un des pilliers de la francophonie et plus globalement du respect des minorités ethniques, sexuelles ou linguistiques au Canada.

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Ce programme, financé à hauteur de 5,6 millions $ par le gouvernement fédéral, permettait aux membres de communautés minoritaires d’obtenir un soutien financier pour contester l’application de lois fédérales jugées discriminatoires ou inconstitutionnelles.

Une institution qui permettait entre autre aux francophones et anglophones minoritaires des différentes provinces de pouvoir faire valoir leurs droits sans pour autant sombrer dans un gouffre financier.

Ce programme avait notamment permis d’obtenir l’ouverture d’une école française à Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, d’annuler la fermeture de l’hôpital francophone Montfort à Ottawa, ou encore de permettre aux conjoints de même sexe de bénéficier des prestations de survivant en cas de décès.

Des actions qui ne seront plus soutenues financièrement, comme le déplore Michelle Vaillancourt, avocate spécialisée chez Heenan Blaikie dans le domaine des droits linguistiques: «L’abolition du programme de contestation judiciaire par le gouvernement fédéral risque de fermer la porte à des contestations judiciaires légitimes ayant trait à des violations des droits linguistiques lorsque le demandeur n’aura pas les moyens financiers de faire entendre sa cause devant les tribunaux.»

Mais si la grogne des organismes francophones s’éparpille sur les diverses coupures budgétaires, l’abolition pure et simple de ce programme semble être devenu en quelques heures le cheval de bataille commun de la francophonie.

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Ainsi, la Fédération des aînés francophones du Canada (FAAFC) a souligné son mécontentement, à travers les propos de son président Marc Lirette: «Les francophones auront maintenant plus de difficultés à faire reconnaître leurs droits dans des domaines comme la santé et l’éducation. […] Il est important au Canada, si nous voulons assurer des droits aux minorités, de pouvoir offrir les outils qui vont permettre de faire reconnaître et d’affirmer ces droits.»

Même son de cloche du côté de la Fédération des communautés francophones et acandienne (FCFA) qui, selon le président Jean-Guy Rioux, remet en cause le respect même de la Loi sur les langues officielles: «La Loi impose au gouvernement de prendre des mesures positives pour appuyer le développement des communautés francophones et acadiennes. Or, le gouvernement n’a même pas rempli son obligation de consultation des communautés sur toute politique ou programme qui a un impact sur elles. C’est inacceptable.»

Le porte-parole de l’Opposition pour le patrimoine, Mauril Bélanger, est également très critique. Le député d’Ottawa-Vanier a fustigé le manque de vision du gouvernement Harper en matière de patrimoine: «L’élimination du Programme de contestation judiciaire est très troublante car ce programme sert à financer les actions en justice qui font évoluer les droits à l’égalité et les droits linguistiques garantis par la Constitution canadienne. […] Ce gouvernement commence maintenant à montrer ses vraies couleurs envers les communautés artistiques et patrimoniales, en dépit de son statut -minoritaire.»

Des réactions qui ne se cantonnent pas à l’épiphénomène, puisque la Société des Acadiennes et Acadiens du Nouveau-Brunswick (SAANB), l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux (ACTS), l’Assemblée de la Francophonie de l’Ontario (AFO), la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law inc. (FAJEF), la Fédération franco-ténoise (FFT) et l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO) ont également exprimé leur courroux ces derniers jours.

Une coalition qui aurait toujours le recours d’en appeler juridiquement au respect de la Loi sur les langues officielles (LLO), et notamment de sa modification de novembre 2005 permettant à un citoyen ou un organisme de présenter un recours dès lors qu’elle juge une action fédérale contraire à l’engagement signifié dans la LLO.

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Mais là encore, le serpent se mord la queue, et une procédure si longue et coûteuse serait difficilement envisageable pour les organismes sans l’appui du Programme de contestation judiciaire, justement au coeur du problème.

Mais c’est une flèche commune plus affûtée que jamais qui a été lancée en direction du gouvernement conservateur, et nul doute que le litige autour des coupures budgétaires devrait peser lourd dans la balance quand sera venu le temps des prochaines élections.

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