Le créateur de la vie (ou peut-être pas)

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Publié 01/06/2010 par Pascal Lapointe (Agence Science-Presse)

A-t-il vraiment créé de la vie, cette fois? Pour la troisième fois en trois ans, Craig Venter dit «oui». Et pour la troisième fois, les experts à qui on pose la question sont bien obligés de répondre «ben non».

L’annonce récente peut être qualifiée de percée (bio)technologique. Mais il reste tellement d’autres étapes avant de créer une vie de toutes pièces, qu’on peut se demander combien de fois durera ce jeu où une nouvelle «percée technologique» se transforme, par effet de marketing, en un «bond de géant pour l’humanité».

En langage simple, l’équipe de Craig Venter, de l’Institut Craig Venter, a copié-collé le génome d’un microbe A (Mycoplasma mycoides) et l’a inséré dans un microbe B, vidé de son propre génome (Mycoplasma capricolum). Le microbe B s’est alors mis à se diviser et à produire les protéines attendues du microbe A.

Dans le texte publié par Science et en conférence de presse, le Dr Venter n’a pas hésité à baptiser cela une «cellule synthétique», et à en parler comme d’un bond de géant qui permettra de fabriquer des microbes sur mesure, afin de produire, par exemple, des vaccins ou des biocarburants. «C’est une avancée philosophique en même temps qu’une avancée technologique.»

Séquence d’ADN copiée-collée

Mais en fait, on est encore loin de la production «sur mesure», et ça n’a rien d’une vie 2.0: le génome copié-collé existait déjà dans la nature, de même que la cellule qui l’a accueilli. C’est plutôt un exploit technologique, que d’avoir «copié-collé» avec précision une aussi longue séquence d’ADN. En revanche, pour produire des vaccins ou des biocarburants, il faudrait non pas copier-coller, mais réécrire de larges pages de ce génome. Et on n’est même pas sûr du nombre d’étapes nécessaires pour en arriver là.

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«Dans mon esprit, Craig a exagéré l’importance», commente le généticien David Baltimore, de Caltech. «Il n’a pas créé de la vie, il l’a seulement imitée.»

«C’est une percée importante pour notre capacité à modifier des organismes, pas pour créer de la vie à partir de zéro. Franchement, la science ne connaît pas encore assez bien la biologie pour créer de la vie», selon le biologiste Jim Collins.

Frankenstein

Et les bémols sont provoqués en réaction au Dr Venter lui-même qui, depuis 2007, n’a eu de cesse d’enrober chacun des «petits pas» d’annonces si flamboyantes qu’elles mettent mal à l’aise ses collègues — entre autres parce qu’elles alarment de nombreux activistes qui imaginent déjà un Frankenstein sortant d’une éprouvette. Mais aussi parce que ces annonces flamboyantes donnent l’illusion que la production de bactéries sur mesure serait presque à notre portée.

La première étape, annoncée en juillet 2007, avait consisté à transplanter le génome d’une bactérie A vers une bactérie B (les mêmes que cette semaine), pour démontrer que cette « bactérie B » peut être fonctionnelle.

La deuxième étape, annoncée en janvier 2008 dans Science, avait consisté à copier-coller le génome complet d’une bactérie, en prenant pour modèle le plus petit génome connu, celui de la bactérie Mycoplasma genitalium.
La troisième étape, à présent, a donc consisté à prendre un génome copié-collé et à l’introduire dans une autre bactérie, pour voir si le tout sera toujours aussi fonctionnel.

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Coût de l’ensemble du projet: 40 millions $, en grande partie financé par la compagnie créée par le Dr Venter en 2003. Venter est celui qui, dans les années 1990, avait remporté à sa façon la course au décodage du génome humain, utilisant la voie de l’entreprise privée parallèlement à la voie financée par les subventions publiques. Il s’est depuis spécialisé dans une branche de la biologie synthétique où il est indéniablement à l’avant-garde. Lisez l’encadré pour la version optimiste…

Inévitable biologie synthétique?

Si le marketing grossit l’importance de cette percée, on aurait toutefois tort de négliger la biologie synthétique : elle pourrait bien être l’inévitable prochaine étape de notre évolution… technologique.

Les humains, se défendent les biologistes, modifient des organismes depuis 10 000 ans, depuis le jour où les tout premiers agriculteurs ont expérimenté des croisements pour obtenir des plantes ou des animaux plus « performants ». Et depuis les années 1990, nous améliorons notre capacité à manipuler des gènes pour produire des plantes et des animaux qui soient plus résistants, donnent du meilleur lait ou de la laine en plus grande quantité.

Or, quoi qu’en disent les écologistes, cette voie pourrait bien être inévitable sur une planète qui devra bientôt nourrir 9 milliards d’habitants. Et pas juste nourrir: leur donner des biocarburants qui les libèrent de leur dépendance au pétrole, par exemple. Ou créer des bactéries qui absorberaient une marée noire…
C’est dans ce contexte que la biologie synthétique — manipuler des gènes, mais à une échelle beaucoup plus grande — pourrait être l’étape suivante.

Le défi, en 2010, n’est pas scientifique, mais politique: assurer que ces percées soient transparentes et les données accessibles à tous les chercheurs — comme cette fois-ci dans Science — plutôt que contrôlées par des intérêts d’une poignée de compagnies privées.

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www.sciencepresse.qc.ca

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