Le Canada des Haïtiens

S’il n’y faisait pas si froid...

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Publié 30/05/2006 par Jean Pharès Jérôme (Agence Syfra)

«Au Canada, il fait tellement froid que les paroles prononcées pendant l’hiver gèlent dès qu’elles sortent de la bouche et qu’on peut entendre ce qui a été dit au même endroit quand arrive le printemps.»

Voltaire afficherait sans doute un sourire malicieux s’il pouvait entendre l’anecdote racontée par un paysan pince-sans-rire, un soir d’amicale beuverie dans un tripot de Léogane, en Haïti.

Dans la foulée de la visite hautement médiatisée de la Gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean dans son pays natal, L’Express a invité une bonne trentaine de citoyens de la Perle ternie des Antilles à livrer sans ambages l’idée qu’ils se font du Canada. Les résultats font parfois sourire.

«Il n’y a pas de misère au Canada, affirme tout de go un jeune chômeur de 27 ans, la carrure chétive, qui a échoué à deux reprises aux examens du baccalauréat. Au Canada, les jeunes trouvent facilement un emploi et les gens ont tout ce dont ils ont besoin pour vivre.»

«C’est effectivement un pays riche et prospère, où règnent l’ordre et la discipline», enchaîne un homme à la tête chenue et qui gagne difficilement son pain en vendant des vêtements sur un pauvre étal posé à même le pavé torride de Port-au-Prince.

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Lui aussi juge que les Canadiens ne font face à aucun problème d’ordre économique. «Même les étrangers ont la vie facile au Canada. C’est un pays qui fait rêver» conclut-il.

Beaucoup d’Haïtiens croient en effet dur comme fer que les Canadiens mènent leur vie sans aucun souci. «Contrairement à Haïti où la majorité de la population vit dans la pauvreté, la grande majorité des Canadiens sont riches. Ceux qui ne travaillent pas sont pris en charge par le gouvernement», explique de son côté un natif du Cap-Haïtien, avant d’ajouter qu’il caresse depuis longtemps l’idée de s’y établir.

D’autres, par contre, sont moins dithyrambiques. «Il y a des quartiers au Canada qui ressemblent aux bidonvilles haïtiens, affirme doctement Émile, un étudiant en informatique dans une école privée de Port-au-Prince. Ils sont généralement habités par les immigrants… Le Canada est ouvert à l’immigration, mais les étrangers n’y mènent pas toujours une vie facile. Contrairement aux États-Unis, les Haïtiens qui s’y installent ont rarement la possibilité d’envoyer quelque chose à leur famille en Haïti.»

Certains estiment aussi que le Canada est un pays immoral, puisque, selon eux, les homosexuels y sont tolérés alors qu’ils sont encore allègrement persécutés, voire pis, dans la Première République noire. Une situation normale, selon plusieurs.

Évidemment, la question du climat revient souvent dans l’imaginaire des Haïtiens lorsqu’il est question du pays d’adoption de Michaëlle Jean et de Dany Laferrière. «Moi, je sais que le Canada est un pays où il fait très froid constamment», dit une jeune femme interrogée au milieu de la circulation démentielle de Martissant, un quartier populaire de la capitale haïtienne. «Les gens sont toujours vêtus de plusieurs manteaux là-bas. Il neige partout. Certaines fois, la vie y est presque impossible.»

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Des réalités sans doute moins difficiles que l’insécurité, la faim, le manque d’électricité, le chômage chronique et la course éperdue pour la survie dans laquelle est engagée la population haïtienne. Des réalités à ce point décourageantes que sur la trentaine de personnes interviewées, toutes, absolument toutes, rêvaient d’immigrer au… Canada.

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