Le Burkina traque les ONG bidon

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Publié 09/02/2006 par Inna Guenda (Agence Syfia)

Finie la lune de miel entre le Burkina et les organisations non gouvernementales (ONG)! Le pays aux 16 000 ONG a décidé de faire le tri entre les fausses associations, opportunistes et attrape-sous, et celles qui contribuent réellement au développement, assurant même parfois des tâches qui incombent à l’État.

Désormais, toutes les ONG intervenant au Burkina devront remplir chaque année des fiches d’évaluation. Ces formulaires permettront au gouvernement de mesurer leur contribution au développement et, par la même occasion, de déceler les ONG fictives.

La volonté de l’État burkinabé de mettre de l’ordre dans le milieu associatif n’est pas nouvelle. Mais, au début de l’année, un nouveau scandale est venu en rappeler l’urgence: un responsable d’une ONG d’appui aux associations nationales a été jugé et emprisonné pour détournement de fonds. Une affaire de plus qui conforte l’idée largement répandue que les ONG s’enrichissent sur le dos des pauvres gens.

«Il y a des responsables d’ONG qu’on appelle les ‘‘mangeurs du sida’’. Ils vivent des financements du sida. Ils se pavanent dans des Patrol et des Pajeros (Ndlr: imposants véhicules tout-terrain) achetés avec l’argent du sida, alors que les vrais sidéens meurent sans rien», dénonce Jean-Pierre Ouiya, de l’ONG Agro inter, bien connu dans le milieu associatif. «C’est un monde où les bonnes intentions côtoient les pires. C’est une nébuleuse», ajoute-t-il.

Bureaux non renouvelés, présidences à vie, détournements de fonds: de nombreux responsables d’ONG foulent aux pieds les principes de la vie associative. Certaines organisations ne sont représentées que par une seule personne ou ne comptent que les membres d’une même famille: «le père, la mère, le fils, la cousine…», ironise un observateur avisé du fonctionnement des organisations de la société civile.

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Mesures de «filtrage»

L’arrivée des premières ONG au Burkina remonte aux années 1960. Étrangères et confessionnelles, leur présence s’accroît avec la sécheresse des années 1970. De sept au départ, le Burkina compte aujourd’hui plus de 16 000 ONG et associations, réparties dans tout le pays et engagées dans l’agriculture, l’environnement, la santé, les droits de l’homme, etc.

Leur apport au développement est indiscutable. Entre 2001 et 2004, une dizaine d’ONG étrangères et nationales injectaient 68 milliards de Fcfa (146 millions $ canadiens) dans l’économie nationale, soit l’équivalent de 3,27% du budget annuel de l’État.

«Quand le vent arrache le toit d’une école dans un village, c’est d’abord à elles que les populations s’adressent», reconnaît Patrice Syan, directeur du suivi des ONG.

L’État accueille celles-là à bras ouverts. Mieux, il les reconnaît d’utilité publique et leur accorde des subventions annuelles. Néanmoins, il se montrera désormais plus regardant sur leur fonctionnement. «Les mesures de filtrage que vient de prendre le gouvernement visent à améliorer l’efficacité des ONG», indique M. Syan.

Comment en est-on arrivé là? Le directeur du suivi des ONG révèle que seulement quelques-unes fournissent régulièrement des rapports d’activité à l’État, au mépris de leurs obligations envers lui.

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Si les ONG admettent la présence dans leurs rangs de brebis galeuses, elles accusent également l’État de laxisme dans la délivrance de récépissés, d’où une pléthore de structures et des abus.

Ainsi, «les fausses associations sont nombreuses. Elles accaparent les financements au détriment des plus dynamiques», fait remarquer Clémentine Ouédraogo, présidente du conseil d’administration du Secrétariat permanent des ONG (SPONG) et directrice des programmes de Promo-femmes/développement solidarité.

Les membres de l’administration eux-mêmes créeraient des ONG fictives. «Ils sont dans le circuit et dès qu’ils flairent des financements, ils mettent en place une structure à partir de leur salon avec leur famille», accuse M. Ouiya.

Un ordre des ONG

L’initiative du gouvernement suscite toutefois des inquiétudes. «Si les ONG se créent, c’est parce que l’État est incapable de satisfaire tout le monde. Il faut éviter de restreindre leur nombre», conseille M. Ouiya. Nestorine Sangaré, consultante au Centre pour la gouvernance démocratique, analyse le problème autrement. Elle doute que l’État ait les moyens techniques et financiers de faire le fameux «filtrage». De plus, la diversité des ONG constitue un sérieux handicap.

«Il est difficile d’identifier leur domaine d’intervention, explique-t-elle. Beaucoup ne sont pas spécialisées dans un domaine précis et changent d’activités en fonction de ce qui rapporte.»

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Certaines ONG approuvent la mesure, discutée lors des journées de programmation des ONG, tenues en juillet dernier. Amélie Traoré de l’Association des veuves et orphelins du Burkina (AVOB) estime que l’État doit veiller à la transparence des ONG. Il doit exiger que chacune fournisse régulièrement des rapports d’activité, dispose d’un siège, d’une adresse permanente et de membres.

Clémentine Ouédraogo, quant à elle, préconise un autocontrôle des ONG sur le modèle de l’Ordre des médecins ou des avocats, par exemple, car «si les principaux acteurs ne sont pas associés à la lutte, il y a risque de mettre fin aux activités de vraies associations».

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