Le Barreau canadien se prononce pour le français, mais…

Cour suprême

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Publié 17/08/2010 par Gérard Lévesque

Réunis dans le décor des Chutes Niagara le 14 août dernier, les membres du Conseil de l’Association du Barreau canadien (ABC) se sont prononcés en faveur de la nécessité de la compréhension des deux langues officielles sans l’aide d’un interprète à la condition que cette obligation linguistique soit assumée par la Cour suprême du Canada et non par chacun des neuf juges qui y siègent.

Pour obtenir ce bilinguisme institutionnel, l’ABC exhorte le Parlement à modifier le paragraphe 16 (1) de la Loi sur les langues officielles (LLO) et à laisser tomber le projet de loi C-232. Ce projet de loi vise plutôt à modifier la Loi sur la Cour suprême afin que tout candidat à une nomination à l’un de ses neuf postes de juges soit tenu de comprendre les langues officielles.

L’ABC se voue à la primauté du droit ainsi qu’à l’amélioration du droit et de l’administration de la justice. Elle compte 37 000 juristes, professeurs de droit et étudiants en droit de toutes les régions du Canada. C’est ce débat linguistique qui a retenu le plus l’attention des participants.

Les autres projets de résolution (portant notamment sur la protection des personnes contre la discrimination fondée sur l’expression et l’identité sexuelles, la mise en œuvre de solutions de rechange pour éliminer la criminalisation de personnes souffrant de troubles causés par l’alcoolisation fœtale, le critère des meilleurs intérêts de l’enfant lors des décisions qui portent sur la garde ou sur les droits d’accès) ont tous été rapidement adoptés à l’unanimité.

Une vingtaine d’interventions

Par contre, la question linguistique a fait l’objet de plus d’une vingtaine d’interventions et de deux tentatives de modifications.

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Ainsi, l’ex-président national Simon Potter, appuyé par Marie Laure Leclercq, présidente de l’ABC-Québec, a proposé de modifier la proposition pour l’exprimer en termes positifs et pour mettre l’emphase sur ce que les tenants des deux tendances partageaient en commun. Cependant, à la suite d’interventions des dirigeants des ABC de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie canadienne, ce projet de modification a été défait.

Par la suite, l’ex-président du Comité des langues officielles de l’ABC-Ontario, David Leitch, appuyé par Gilles LeVasseur, professeur à l’Université d’Ottawa, a proposé de retirer la partie du texte exigeant l’abandon du projet de loi C-232. À la suite de nouvelles interventions des dirigeants des ABC de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie canadienne, ce projet a également été défait et le texte de la résolution non modifiée a été adopté par la majorité des participants.

Il y a lieu de se demander pourquoi les trois Divisions de l’Ouest ont tant insisté pour que leur option de modifier la Loi sur les langues officielles (LLO) comprenne obligatoirement l’abandon du projet de loi C-232. En effet, il y a à peine deux ans, en 2008, ces trois Divisions n’avaient pas appuyé le projet de loi du député Denis Coderre qui visait à faire précisément ce qu’elles proposent maintenant, soit de modifier le paragraphe 16(1) de la LLO.

Majorité de sénateurs (non élus)

Le premier ministre Harper et les membres du Parti conservateur reprochent souvent aux membres du Sénat canadien (des parlementaires non élus, rappelle-t-il) de défaire ou de retarder les projets de loi déjà adoptés par la Chambre des communes. Puisque le projet de loi C-232 a déjà été adopté par la Chambre des communes et est rendu à l’étape de la 2e lecture au Sénat, le premier ministre et ses partisans changeront-ils de discours cet automne alors que leur parti disposera d’une majorité de sénateurs?

Le problème est que le gouvernement fédéral pourrait, d’une part, utiliser la nouvelle position de l’ABC pour justifier une défaite ou un blocage permanent du projet de loi C-232 et, d’autre part, ne pas procéder à une modification de la LLO.

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Justice différente en anglais et en français

Mais, même si le gouvernement procédait à une modification de la LLO, cela résulterait en une nouvelle dynamique inéquitable: une justice différente selon qu’on est juristes et justiciables d’expression française ou d’expression anglaise.
Les premiers seraient limités à plaider devant les juges bilingues de la Cour suprême alors que les seconds auraient droit au banc complet des neuf juges du plus haut tribunal du pays.

Il n’est pas difficile de voir là le non-sens ainsi provoqué, et donc la précarité de la proposition votée par l’ABC.

Maintenant que l’ABC affirme que l’incapacité pour un candidat d’être en mesure de comprendre les deux langues officielles n’empêche pas sa nomination à la Cour suprême, il y a lieu de se demander qui seraient les principaux gagnants et les principaux perdants de cette position prônée par l’ABC. À suivre…

Pour plus de renseignements, consultez le texte intégral de la résolution adoptée le 14 août 2010 par le Conseil de l’Association du Barreau canadien au sujet du bilinguisme institutionnel à la Cour suprême du Canada:
http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913
&voir=centre_detail&Id=3935

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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