«L’avenir du Liban n’est pas entre ses mains»

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Publié 12/12/2006 par Yann Buxeda

Dimanche, le Liban a été de nouveau secoué par une manifestation gigantesque. À l’initiative de l’opposition au gouvernement Siniora, des centaines de milliers de manifestants se sont réunis dans le centre de Beyrouth pour réclamer des changements à la tête du pays.

Une manne électorale pour le Hezbollah, principal adversaire pro-syrien du gouvernement en place, qui faisait état dimanche du plus grand rassemblement populaire du pays. Mais pour les Libanais expatriés au Canada, l’heure n’est évidemment pas à la joie ni au soulagement.

En réalité, depuis les années 1970, le Liban, petite enclave méditerranéenne entourée par les eaux, mais aussi par Israël et la Syrie, est au cœur d’un conflit géostratégique majeur. Sans pour autant y jouer un rôle direct, le Liban est un acteur majeur de l’instabilité au Proche-Orient, de par la position géographique qu’il occupe.

Le Liban a toujours un peu été considéré comme la Suisse du monde arabo-musulman. Un OVNI politique à l’influence mesurée et à la tendance autarcique marquée. Une nation prospère, prolifique, à l’exception culturelle unanimement reconnue, mais qui s’est rarement distinguée par son leadership dès lors que la situation mettait en jeu différents acteurs internationaux.

Sauf que le Proche-Orient n’est pas l’Europe, et les querelles de voisinages ont fait que le Liban, successivement occupé par Israël et la Syrie, n’a jamais pu s’épanouir et dévoiler son véritable potentiel. Pire, les derniers événements ont carrément fait reculer drastiquement le pays du cèdre.

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Dernière catastrophe de grande envergure en date, l’offensive israélienne de juillet dernier dans la partie sud du Liban a fait reculer le pays dix ans en arrière, détruisant notamment une grande partie des infrastructures de la région. À cette époque, Imad Malaeb était en vacances au Liban avec sa famille.

Pour ce Libanais d’origine, immigré depuis de nombreuses années à Toronto, être pris au coeur du tourment a constitué un véritable traumatisme: «En quelques heures, nous avons vu le Liban changer de face. Nous sommes entre deux feux depuis 15 ans, mais on ne s’habitue jamais à ce type de situation. Tout était redevenu très sauvage alors que quelque temps avant c’était la fête. Nous avons vraiment ressenti la peur des gens. Finalement nous avons quitté le pays en bateau, rapatrié par les autorités canadiennes, après 11 jours. C’était très difficile de laisser la famille.»

Depuis le retrait syrien, le pays se trouve dans une situation complexe, sans tutelle extérieure mais avec un paysage politique intérieur plus divisé que jamais. Une réalité que ne retranscrivent que partiellement les médias canadiens.
C’est justement l’un des aspects du conflit qui touche le plus Imad Malaeb, loin de son pays: «Le monde n’est pas vraiment au courant de ce qui se passe au Liban. De par le fait que les médias occidentaux soient au cœur de conflits d’intérêt de masse, l’information est injustement tronquée. Par exemple, il est de bon ton de ne pas critiquer l’attitude d’Israël alors que, même s’il ne faut pas imputer tous les problèmes à Tsahal, nos voisins du Sud ne sont pas complètement innocents non plus.»

Si les récents événements ont replongé le Liban dans les affres de la guerre, la situation est instable depuis de nombreux mois. L’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri en février 2005 a coïncidé avec l’aboutissement des négociations entre l’ONU et la Syrie, qui s’est retirée après une longue période d’occupation, laissant derrière elle une population meurtrie.

Pour autant, le départ de la Syrie n’a pas non plus concrétisé tous les espoirs des Libanais. Laure Abou-Jaoudé est elle aussi Libanaise d’origine, et s’est installée à Toronto. Professeure pour le Conseil catholique, elle est également licenciée de sciences politiques et est restée en très proche contact avec le Liban et sa situation politique.

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Elle déplore logiquement le déchirement dont est victime son pays: «La Syrie s’est peut-être retirée, mais elle a laissé ses pions en place et est toujours très influente par l’intermédiaire du Hezbollah. Le parti pro-syrien est un appui majeur pour Damas qui s’ingère toujours autant au sein du pouvoir politique libanais.»

Un point de vue partagé par Imad Malaeb: «Ce qui était un parti de libération est devenu un allié de l’ennemi, et il est très difficile de s’opposer au Hezbollah. Notre pays est celui où l’on trouve le plus fort taux d’assassinats politiques dans le monde. C’est un constat terrible surtout que le Liban est une démocratie.» Avec une petite dizaine de personnalités politiques majeures assassinées au cours des trois dernières années, difficile en effet de mettre en avant la réussite totale de l’instauration de la démocratie dans le pays du cèdre.

Dernier événement du type en date, le meurtre du ministre Pierre Gemayel a provoqué un nouveau séisme. Ce sont maintenant pas moins de sept ministres qui manquent au sein du gouvernement, après les démissions massives des ministres pro-syriens de la coalition gouvernementale, en novembre. Si le total venait à se porter à neuf, le gouvernement Siniora serait alors constitutionnellement illégitime et perdrait le pouvoir.

Une réalité qui pousse à croire que la Syrie pourrait avoir joué un rôle dans cet assassinat, comme le souligne Laure Abou-Jaoudé: «La mort de Pierre Gemayel m’a personnellement meurtrie, car je l’ai connu. J’ai également été très proche de son père le président Amine Gemayel et son oncle le président Bachir Gemayel, tous deux assassinés il y a quelques années. Maintenant, je laisse à un tribunal international le soin de désigner les coupables, mais les yeux apeurés des Libanais sont tous ciblés vers les régimes totalitaires et unitaires qui nous entourent.» Une analyse qui ne laisse place au doute.

Imad Malaeb, lui, est encore plus tranchant: «Il est incroyable que certains aient encore des doutes sur les véritables commanditaires de cet acte. Pierre Gemayel est mort dans les mêmes conditions que Gebrane Tuéni. Pierre Gemayel n’est qu’un nouveau maillon du stratagème mis en place par la Syrie pour revenir au Liban. Ce système, c’est celui du totalitarisme, c’est celui de Staline. Nous n’avons aucune chance de pouvoir nous préserver de ça si les instances internationales n’interviennent pas.»

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Une intervention extérieure qu’il espère favorable au Liban, ce qui n’est pas forcément gagné selon lui: «Nous sommes tout juste à l’orée du pire ou du meilleur. Notre avenir est intimement lié à celui de la Palestine et de l’Irak, en d’autres termes à la politique internationale des États-Unis. Tout dépendra de la pression que décidera de mettre la communauté internationale sur la Syrie. Malheureusement, l’avenir du Liban n’est pas entre ses mains.»

Une version que ne partage pas forcément Laure Abou-Jaoudé, selon qui la solution réside toujours au cœur du pays: «Je veux croire qu’en dépit de la situation, les Libanais vont revenir à la raison et reprendront le dialogue au sein du Parlement. Nous devons une nouvelle fois démontrer notre attachement indéfectible à la démocratie et à la justice. Il en va de notre avenir.»

Un futur pour le moment entre parenthèses, alors que le scrutin présidentiel de 2007 devra sûrement être précédé d’élections parlementaires anticipées. Au Liban, le président est élu par le Parlement. Une institution qui n’a plus aujourd’hui la légitimité suffisante pour représenter le peuple, avec la démission en masse du bloc chiite, et qui pourrait être amenée à changer de bord.

D’ici là, le Liban connaîtra ou non de nouveaux rebondissements politiques, mais n’avancera pas sur le chemin qui mène à la paix. Une situation crève-cœur pour Imad Malaeb, qui cherche pourtant encore les points positifs: «Au moins, cette expérience servira à mes enfants. Ils sont jeunes, ont vu la guerre, entendu les bombardements. Ils sauront maintenant l’horreur de la guerre et, je l’espère, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour l’éviter.» Ou l’art de vouloir découvrir un filon d’or dans le lit d’une rivière asséchée…

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