Lapointe en flèche

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Publié 21/04/2009 par Dominique Denis

Difficile de croire que depuis qu’il est apparu sur la scène québécoise, tel une comète, au début du millénaire, il ne s’agit que du troisième «vrai» CD de Pierre Lapointe (je n’inclus pas une collection de trucs remixés, d’intérêt nettement plus modeste pour ceux qui s’intéressent à son écriture). Le bougre a le double don de l’ubiquité et de la métamorphose, à l’instar de Bowie, un de ses modèles avoués. J’étais tenté d’affirmer que Lapointe est de ces rares artistes qui montrent la voie pour la chanson québécoise, mais à l’exception possible de Yann Perreau, je ne vois personne qui serait capable de le suivre sur cette trajectoire.

Avec Sentiments humains (Audiogram) où l’idée de la transformation sert de fil conducteur, on frise l’album-concept, mais il s’agit d’un concept qui, comme je l’ai dit, est au cœur de toute la démarche de Lapointe.

En fait, ce qu’on tient là, c’est le prolongement discographique du spectacle multimédia – intitulé Mutantès, justement – qu’il avait présenté aux Francofolies en 2007. Poursuivant sa fertile collaboration avec le réalisateur et arrangeur Philippe Brault (et Daniel Bélanger, qui intervient à titre de prodigueur de bons conseils), Lapointe signe une œuvre en parfaite tension entre l’intimité et la grandiloquence, entre la vulnérabilité et la folie, servie par une voix, un flair mélodique et un sens poétique qui renvoient à ces fastes années 70, qui étaient celles du glam rock, mais aussi de la variété française à son plus irrésistible.

Et en prime, les 15 000 premiers à mettre la main sur Sentiments humains seront récompensés en trouvant à l’intérieur du boîtier Les vertiges d’en haut, une petite pochette renfermant cinq autres titres qui ne cadraient pas avec la prémisse de l’album. Une preuve additionnelle, s’il en faut, que Lapointe surfe présentement sur une crête de créativité dont on ne peut que souhaiter qu’elle dure longtemps.

La chanson en équilibre

On était nombreux à attendre ce Brise-glace (Productions de l’Onde), le petit dernier de Guy-Philippe Wells, depuis le choc salutaire infligé par l’album Futur antérieur, paru en 2005.

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L’auteur-compositeur ne déçoit pas avec ce second opus, démontrant qu’il s’en passe des choses dans la «tête de petit Chicoutimien» de celui qui fut naguère le conseiller de Lucien Bouchard. Oscillant entre l’optimisme fraternel de L’aventure humaine et le constat fataliste de C’est pas vrai qu’on va s’en sortir (vision d’apocalypse qui joue savamment sur le contraste entre le propos et une musique d’une irrésistible insouciance), Wells assume ses incertitudes et ses colères tempérées d’humour grinçant (Petit pays, nouvel hymne «national» des désillusionnés de la souveraineté), et se sert de refrains diablement accrocheurs pour faire passer d’amères pilules, ayant compris que c’est le genre de médicament dont notre Occident malade a le plus besoin.

À l’instar du magistral L’échec du matériel, de Daniel Bélanger, Brise-glace figure parmi ces albums qui puisent dans notre malaise collectif (et dans l’urgence de confronter ce qui nous attend inéluctablement) le matériau brut de son inspiration, sans toutefois céder à la banale dénonciation ou au moralisme noir et blanc.

Certains verront en ce titre une métaphore pour la fin de nos isolements, tandis que d’autres y entendront le bruit déchirant des banquises qui cèdent sous les assauts du réchauffement planétaire. Nul doute que les deux visions se valent – et que c’était là l’intention de Guy-Philippe Wells.

Le nombril de Roa

Comme bien des gens, je découvre le Franco-Manitobain Daniel Roa avec Le nombril du monde (Distribution APCM). Dans le milieu, il était déjà bien connu comme batteur et réalisateur, mais pour ce premier album en son nom, il met ses mots et ses mélodies de l’avant, tout en alternant entre guitare et batterie.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Roa ne lésine pas sur les moyens. Se promenant du funk au hip-hop en passant par les rythmes brésiliens et la ballade folk sautillante (à la Jack Johnson, un genre qui plaît par les temps qui courent), Le nombril du monde est d’abord et avant tout une ambitieuse démonstration de polyvalence, certes impressionnante, mais qui finit par donner le tournis.

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Quant au propos, il s’avère aussi varié que l’enveloppe sonore (pêle-mêle, on y retrouve des réflexions sur l’appartenance au pays, l’androgynie, le caractère inné des impulsions violentes, le coït, et j’en passe).

Pourtant, force est de constater que Roa n’a pas toujours les moyens de ses ambitions philosophico-littéraires: ses textes sont parsemés de passages à faire grincer des dents, et un morceau comme Gandhi (sur les pulsions précitées) donne l’impression que son auteur n’a pas voulu tracer un trait sur certaines chansons écrites à l’adolescence, et qui constituent des étapes maladroites mais nécessaires à son développement.

Mais n’oublions pas qu’il s’agit là d’un premier album, et que notre homme a tout le temps d’apprendre à décanter son inspiration, doser ses effets et choisir, dans sa vaste palette d’influences, les registres qui lui conviennent le mieux.

Auteur

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