Le jeudi littéraire de l’Alliance française de Toronto, a récolté un franc succès, le 15 janvier dernier. La Galerie Pierre Léon débordait de monde et avait toutes les peines à contenir les quelques 60 personnes présentes. Cet engouement s’expliquerait par le thème de la conférence qui portait sur la traduction artistique: Traduire sans fausse note poèmes et chansons. À la même table se sont réunis trois spécialistes du jonglage langagier: les professeurs Christine Klein-Lataud, Ray Ellenwood et Claude Tatilon.
L’audience comprend très vite que le fossé qui sépare la traduction pragmatique et littéraire est large. La traduction littéraire et plus particulièrement poétique ne sont pas une mince affaire et peuvent sembler pour les personnes les plus sensées comme une aventure impossible. Christine Klein-Lataud cite à ce titre une phrase du Robert Frost «la poésie est ce qui se perd dans la traduction!» Un exercice périlleux pour celui qui s’évertue à vouloir rendre au vers son sens et sa rime dans une langue étrangère.
Mme Klein compare le poème à un organisme vivant. Si le traducteur lui ôte le son, cela reviendrait à lui couper un bout vital. Et il est parfois difficile pour le traducteur de ne pas se laisser succomber par deux tentations, deux dérives, deux précipices: «la singerie rimée et le moulage de prose que Baudelaire décrivait, surtout pour ce dernier, comme la platitude absolue.»
Selon Claude Tatilon, spécialiste de la traduction publicitaire, Ray Ellenwood a relevé le défi, pour plusieurs insurmontable, de traduire les chansons ou plutôt les poésies chantées de Georges Brassens. «Un bon texte doit proposer du nouveau, surprendre et le faire continuellement. Brassens était fort pour ça. Sa formule? Faire du neuf avec du vieux!», commence M. Tatilon.
Il poursuit en soulignant à quel point Brassens utilisait les clichés et les télescopages dans ses chansons. La rime chez Brassens n’était pas là uniquement dans un but mélodique, mais elle l’était aussi pour un effet de surprise. Les exemples sont nombreux. «Dans ses chansons, les clins d’œil sont nombreux. Les marches militaires riment chez lui avec se tapant le cul par terre; la chronique des scandales avec les parties génitales et des lampions avec des morpions.»