La thérapie pianistique d’Emilyn Stam

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Publié 27/01/2009 par Dominique Denis

Il est de ces disques dont la genèse est aussi intéressante que les fruits, et Holding Time (Autoproduction), le premier album solo de la pianiste Emilyn Stam, en fait partie.

Âgée de 19 ans, Emilyn est originaire du village de Smithers, en Colombie-Britannique, où elle fait la connaissance du compositeur et violoneux Oliver Schroer, qui inspira toute une génération de jeunes musiciens ouverts à son approche très ludique de la création musicale. En plus d’apprendre le violon à ses côtés, Emilyn devient son accompagnatrice au piano, et suit Oliver à Toronto lorsqu’il doit être hospitalisé pour la leucémie qui l’emporta en juillet dernier.

La réaction d’Emilyn à cette perte fut de canaliser ses émotions par le biais de l’improvisation pianistique. Quatre journées intenses d’enregistrements produisirent plus de 70 pièces, dont elle retint 12 pour Holding Time. Question d’assurer une certaine unité de climat, elle y privilégie la douceur et l’onirisme, tandis que quelques mélodies émergent du brouillard, parfois subtiles et fugaces, parfois chantantes et accrocheuses. Emilyn y voit «des images de ce qu’on peut apercevoir sur les rives de cette rivière qu’est la musique». L’auditeur y verra le reflet d’une âme profondément musicienne, qui sait déjà faire vibrer notre corde sensible sans déraper dans le sentimentalisme.

L’effet d’ensemble est thérapeutique, et séduira ceux qui demeurent réfractaires à l’improvisation telle que la pratiquent les jazzmen. Mais il serait dommage qu’Emilyn se laisse enfermer dans une démarche entièrement dictée par l’accessibilité – et le potentiel commercial – de sa musique. Pour elle comme pour nous, souhaitons-lui d’avoir le courage des convictions qu’elle a héritées d’Oliver Schroer, pour qu’elle nous emmène sur des chemins plus escarpés, mais riches en paysages aussi inattendus que mémorables. (www.emilynstam.com)

À chacun son cinéma

Il y a quelques mois, l’étiquette québécoise Justin Time a eu l’excellente idée de rééditer Cinépassion, de l’ensemble Quadro Nuevo, un petit bijou qui fera le bonheur de tous les mélomanes tant soit peu cinéphiles (mais est-il possible d’être l’un sans être l’autre?). Comme son nom l’indique, cette formation – qui n’est pas sans évoquer notre propre Quarteto Gelato – s’amuse à présenter des thèmes familiers dansun cadre neuf, en l’occurrence instrumental.

Avec Cinépassion, originellement paru en 2002, nos quatre musiciens et leurs nombreux invités puisent dans le riche héritage musical du 7e Art, laissant la clarinette, l’accordéon, l’harmonica, la guitare ou encore le saxo porter une quinzaine de mélodies pour la plupart familières, signées Nino Rota (Gelsomina, le célébrissime thème du film La Strada), Vladimir Cosma (Promenade Sentimentale, de Diva) ou encore Francis Lai (Plus fort que nous, de Un homme et une femme). Si la plupart des interprétations ne s’éloignent pas trop de nos souvenirs, Quadro Nuevo se permet quand même quelques sympathiques audaces, comme c’est le cas du fameux thème romantique de Jean de Florette, qui avait été interprété de façon très lente et dramatique à l’harmonica, mais qui donne cette fois lieu à une valse aigre-douce.

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Bref, on tient là une agréable façon de se replonger dans les frissons qu’engendre la rencontre de la partition et de la pellicule.

Django aux épices créoles

Le clarinettiste néo-orléanais Evan Christopher est un des maîtres incontestés de son instrument, un soliste au timbre chaleureux et au lyrisme à vous fendre le cœur. Mais la clarinette n’ayant plus la popularité qu’on lui connaissait à l’époque de Benny Goodman et d’Artie Shaw, ses albums demeurent l’affaire d’une poignée d’initiés (il y a quelques années, il nous avait régalés de Delta Bound, avec l’inusable Dick Hyman au piano, que je vous recommande sans réserve.)

Sa ville natale ayant été oblitérée par l’ouragan Katrina, Christopher a répondu à l’invitation de la Ville de Paris, où il s’établit en 2005 dans le cadre d’un échange culturel franco-américain. Le premier album résultant de ce déménagement aurait pu s’appeler «Paris Bound», mais il a pour titre Django à la créole (Frémeaux & Associés). On y retrouve une formation composée des guitaristes Dave Blenkhorn et Dave Kelbie, et du contrebassiste Sébastien Girardot, tous rompus aux exigences virtuoses du jazz gitan.

Malgré ses occasionnelles séances avec des musiciens du Big Easy (dont le légendaire Barney Bigard), Django n’était pas reconnu comme un pratiquant du jazz néo-orléanais. Plutôt que de simplement substituer sa propre clarinette au violon de Stéphane Grapelli, Christopher exploite à bon escient la tension qui résulte de la rencontre entre le swing manouche, caractérisé par une propulsion effrénée vers l’avant, et le «Spanish tinge» plus lent et chaloupé que Jelly Roll Morton avait si bien identifié comme étant l’épice secret du jazz néo-orléanais, et qui est le propre de toutes les musiques des Caraïbes.

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