La soupe

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Publié 07/11/2006 par Pierre Léon

C’était donc à la grand messe annuelle de Chanceaux, dont je vous parlais récemment.

Je me préparais à la crampe de l’écrivain qui signe, tout en répondant aux questions, expliquant, racontant pour la énième fois l’histoire de mon Huron en Alsace et tentant de justifier mon titre idiot du Papillon à bicyclette. Il arrive que les gens ne me prennent pas au sérieux, auquel cas mieux vaut mieux rire ensemble.

L’intérêt de cette fête du livre en plein air est de se frotter non seulement aux vedettes mais plus encore aux acheteurs qui vous mettent sur le grill. On rencontre parfois de bien pittoresques personnes dont certaines ne manquent pas d’audace, emportant sous votre nez un bouquin pour lequel vous avez dit: «Vous pouvez regardez» et qui font semblant de comprendre «Vous pouvez l’garder». Ben voyons. Mais j’ai vu plus beau.

Une charmante jeune femme, pas vraiment jolie mais avec du charme, je dirais même du chien! Un joli nombril, coquin, à l’air. Elle me plante des yeux noirs perçants dans les miens, qui sont modestement bruns, me disant: «Je veux ces quatre bouquins-là!»

Heureux, je m’apprêtais déjà à lui dire: «Je les dédicace à qui?»

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Elle m’arrête, enchaînant: «Mais je n’ai pas d’argent». Je lui propose de lui offrir un de mes exemplaires. Non elle veut les quatre. Je lui rétorque, pour plaisanter: «Il me faut bien gagner quelque argent, sinon je n’aurai pas de quoi m’acheter à manger ce soir?»

«C’est pas un problème, réplique-elle. Vous venez manger la soupe chez moi. J’habite tout près d’ici et je suis seule. Je ne suis pas très bonne cuisinière, mais ce n’est pas ça qui compte. Non?»

Bon. C’est vrai que l’homme ne vit pas seulement de soupe. Mais j’avais beau lui remontrer qu’elle aurait intérêt à trouver un auteur plus jeune et célèbre, elle prétendait qu’ils étaient sûrement tous occupés ce soir-là. Ce qui était probable.

– Allez donc voir Poivre d’Arvor. Il est trois tables plus loin.
– Je l’aime pas parce qu’il parle du nez.
– Ça, c’est un signe de supériorité.
– Et puis il a toujours l’air d’un chien battu.
– Ça, c’est une marque de tendresse.

Elle ne voulait rien entendre. Alors, devant mon manque d’enthousiasme pour la soupe si généreusement offerte, la demoiselle me tourne les talons, emportant tout de même un livre, le plus gros, Humour en coin, et me faisant des petits signes d’au revoir bien mignons. De loin, elle me lance: «Réfléchissez bien. Je repasse tout à l’heure!»

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Le chaland qui vous dit «Je repasserai plus tard», on ne le revoit jamais. Effectivement ma gonzelle n’est pas réapparue. J’imagine que, réflexion faite, elle est allée faire son petit cinéma à Poivre d’Arvor en train de signer ses Confessions brûlantes.

Avec son air tendre, il aura succombé. Elle lui aura fait le coup de la jolie Claire Chazal. Mais il faudra sûrement attendre encore dix ans avant de savoir s’ils ont eu un enfant, comme dans les Confessions. L’angoisse, quoi!

P.S. À propos de Salon du livre, celui de Toronto 2006, a attiré une foule enthousiaste le vendredi. Pourquoi a-t-elle boudé, au point que l’on sait, le samedi?

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