La singulière pluralité de Jane Birkin

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Publié 04/03/2008 par Dominique Denis

Avant même qu’on n’ait tamisé les lumières du Music Hall de l’avenue Danforth, lundi dernier, avant même que sa silhouette d’éternel garçon manqué ne se découpe du clair-obscur de la scène, sautillant parmi ses trois jeunes musiciens tout de noir vêtus, une chose était claire: Jane Birkin n’aurait pas à faire des pieds et des mains pour conquérir son public à l’occasion de ce tout premier passage torontois. Ce public – majoritairement francophone, à en juger par les échos provenant de la salle – lui vouait déjà une adulation inconditionnelle.

Mais qui était-on venu applaudir au juste? L’interprète à la voix porteuse de mille frissons, l’icône sixties par excellence ou la muse mi-perverse, mi-ingénue de Gainsbourg? Les trois, sans doute, puisque chez Jane B., ces multiples identités ont toujours fait bon ménage.

Et tout au long de cette soirée placée sous le signe de la complicité, sa démarche, tant vis-à-vis de son répertoire que de son public, était marquée par un même souci d’équilibre: entre passé et présent, entre l’anglais et le français, entre le très familier et l’inconnu.

Bref, nous avons eu droit à une bonne dose de classiques, de L’aquoiboniste à Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve et, dans un registre plus léger, le joliment biographique Di Doo Dah. Nous avons eu droit à une nouvelle chanson signée Birkin (Aung San Suu Kyi), accompagnée d’une harangue passionnée sur la tragédie birmane, une cause qu’elle a fait sienne.

Nous avons eu droit à quelques morceaux anglais puisés au meilleures sources (Alice, de Tom Waits, Home, du groupe anglais Divine Comedy), qui démontrent la justesse de son jugement artistique. Et surtout, Birkin a pris soin de donner une place de choix à certaines œuvres créées par quelques plumes en vogue (Zazie, Chamfort, Mickey 3D, Gonzales), lesquelles tentaient, chacune à sa façon, de recréer un peu de la magie du tandem Gainsbourg-Birkin.

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Bien qu’elle bénéficie d’un fabuleux capital de sympathie, Jane B. n’est pas du genre à prendre ce genre de réaction pour acquis, exprimant plusieurs fois une gratitude mêlée de surprise, nous enjoignant à bien nous emmitouffler à la sortie du spectacle («Faites attention: on dit que la neige s’en vient…»), s’émerveillant de l’affection dont elle faisait l’objet, et semblant franchement surprise que nous ayons tous entendu parler de son Serge.

Ce petit numéro de charme était d’autant plus efficace qu’il n’avait rien de forcé: Jane portait les mêmes pantalon et t-shirt sur scène que lors des séances d’entrevues auxquelles elle s’était livrée de bonne grâce quelques heures plus tôt, et sa façon de se mouvoir sur scène suggère quelqu’un qui ne s’est jamais soumise à une gestuelle trop calculée.

Sa cote d’amour est telle que Jane pouvait se permettre de pratiquer, texte portugais en main et lunettes de mamie au bout du nez, son interprétation de O Leaozinho en vue du duo qu’elle ferait avec son auteur Caetano Veloso le surlendemain, à Rio. Ce qui, chez une autre interprète, ressemblerait à un flagrant manque de professionnalisme devenait ici un moment de complicité.

Malgré les récentes percées d’artistes français sur la scène internationale (on pense à Air et Daft Punk) et le statut privilégié qu’occupe Gainsbourg auprès des branchés de tous poils (il faisait il y a quelques années l’objet d’une bio en anglais, A Fistful Of Gitanes), la plus British des chanteuses françaises – ou la plus Frenchy des chanteuses britanniques, c’est idem – demeure l’affaire d’un public initié, et même avec une promotion soutenue de l’événement auprès du public anglo-torontois, le vaste Music Hall était plein à environ 60 %.

Certes, personne n’aura pu quitter la salle en affirmant que nous venions d’assister à une grande performance musicale ou vocale.

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La vérité, c’est que Birkin n’a jamais su chanter, du moins, pas dans le sens conventionnel du terme, et ce n’est pas à 61 balais qu’elle devrait s’y mettre, d’autant qu’elle y sacrifierait à coup sûr ce qui constitue sa plus grande force – sa délicieuse vulnérabilité.

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