La séropositivité n’aura pas toujours à être divulguée au partenaire sexuel

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Publié 11/10/2012 par Stéphanie Marin (La Presse Canadienne)

5 oct 2012 16h53

OTTAWA – Une personne ne commet pas un acte criminel si elle ne déclare pas sa séropositivité à un partenaire sexuel, à condition que sa charge virale soit faible et qu’un condom soit utilisé, a tranché la Cour suprême du Canada.

Dans deux jugements unanimes dévoilés vendredi, le plus haut tribunal du pays vient de clarifier dans quelles circonstances une personne séropositive doit déclarer sa condition médicale avant une relation sexuelle.

La Cour conclut qu’avec le port du condom et une charge virale faible ou indétectable, il n’y a pas de « risque significatif de transmission » du VIH au partenaire. Son consentement à la relation sexuelle n’est donc pas invalidé par l’ignorance de la séropositivité.

Il s’agit de la première fois depuis 1998 que la Cour suprême se penche sur la question de la divulgation de la séropositivité dans un contexte de droit criminel.

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Jusqu’à aujourd’hui, la loi a été interprétée de façon à obliger ceux qui sont infectés à le dire à leurs partenaires, que la question leur soit posée ou pas. Faute de quoi, ils pouvaient être accusés d’agression sexuelle grave ou de voies de faits, qui emportent de lourdes peines.

Les décisions rendues vendredi permettent de tenir comptes des avancées médicales dans le traitement du virus et des médicaments qui sont maintenant disponibles, notamment, les antirétroviraux.

Les conclusions de la cour ne s’appliquent toutefois pas dans le cas d’autres maladies transmissibles sexuellement.

« Une maladie transmise sexuellement et qui est traitable et qui ne bouleverse pas l’existence ni ne réduit sensiblement l’espérance de vie pourrait très bien ne pas emporter de lésions corporelles graves et de ce fait ne pas satisfaire à l’exigence de mise en danger de la vie que comporte l’infraction d’agression sexuelle grave », tient à préciser la Cour.

La Cour ne s’est pas non plus prononcée sur les exigences de divulgation pour les relations sexuelles orales.

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Les deux jugements déçoivent cependant des groupes qui travaillent auprès des personnes séropositives.

« Je suis consternée par la décision », a déclaré d’entrée de jeu l’avocate Stéphanie Claivaz-Loranger, qui est aussi coordonnatrice à la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA).

« La décision de la Cour permet des poursuites dans des cas où la science a démontré clairement que le risque de transmission est négligeable », a-t-elle expliqué. Elle aurait préféré que l’obligation de divulgation soit éliminée quand le risque de transmission est quasi inexistant (charge virale faible) ou lorsque le condom est utilisé. Mais ne pas exiger les deux.

L’avocate s’inquiète de l’impact du jugement sur les personnes atteintes du VIH. Plus on poursuit dans un éventail de situation, plus on crée un climat de peur où les personnes avec le VIH craignent d’être montrées du doigt comme des criminels et des agresseurs sexuels, fait-elle valoir. Elle dit que la coalition travaille justement à créer un climat où il est plus facile pour les gens de révéler leur séropositivité.

« On n’a rien contre la divulgation, on ne croit juste pas que le droit criminel aide cette divulgation », dit fermement Mme Claivaz-Loranger.

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La Cour suprême a ainsi eu à examiner deux causes différentes, l’une du Québec et l’autre du Manitoba.

Dans la cause québécoise, une femme a eu une relation sexuelle non-protégée avec son partenaire, sans lui révéler sa séropositivité. Après qu’elle eut dévoilé son état, ils ont vécu quatre ans ensemble. Ce n’est qu’après la séparation houleuse que son ex-conjoint a porté plainte. Il n’a toutefois pas contracté le VIH.

Déclarée coupable d’agression sexuelle et de voies de fait graves par le juge du procès, elle a ensuite été acquittée par la Cour d’appel au motif que sa charge virale était indétectable et que le risque de transmission était par conséquent très faible. Elle n’aurait pas, selon la Cour d’appel, exposé son ex-conjoint à « un risque important de préjudice grave ».

La Cour suprême a confirmé l’acquittement, tout en précisant que le port du condom est aussi requis pour diminuer le risque de transmission, et ainsi éviter des accusations criminelles. Ici, la Cour a conclu qu’il n’avait pas été démontré que le couple avait omis d’utiliser un condom.

« La possibilité réaliste de transmettre le VIH crée un risque important de lésions corporelles graves. Ce risque est écarté à la fois par une charge virale faible et par l’usage du condom », a tranché la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin.

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Dans l’affaire qui s’est déroulée au Manitoba, un homme a été condamné pour plusieurs agressions sexuelles sur neufs femmes parce qu’il ne leur a pas dévoilé sa séropositivité. Dans certains cas, des condoms avaient été utilisés. Un expert a témoigné que l’homme était contagieux pendant une certaine période de temps visée par les accusations, mais pas pour toute la durée. Aucune des femmes n’a toutefois contracté le VIH. Huit d’entre elles ont toutefois témoigné au procès qu’elles auraient refusé la relation sexuelle si elles avaient connu l’état de l’homme.

La juge de première instance l’avait acquitté de l’accusation d’agression sexuelle grave dans les cas où celui-ci avait utilisé un condom et qu’aucune charge virale n’avait été détectée au moment des relations sexuelles. Une conclusion confirmée par la Cour suprême.

Les avocats des deux ministères publics avaient pour leur part plaidé que la divulgation devrait être obligatoire dans tous les cas. Une façon de faire rejetée par la Cour suprême car elle reviendrait à écarter l’exigence du « risque important de lésions corporelles graves ».

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