La route vers la paix, bordée de coquelicots

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Publié 11/11/2008 par Gabriel Racle

Chaque année, entre le dernier vendredi d’octobre et le 11 novembre, des milliers de coquelicots fleurissent au revers des vestons, sur des robes ou des chapeaux d’une bonne partie de la population canadienne, et notamment des personnes les plus visibles, ministres, députés, animateurs de télévision, mais aussi de personnes anonymes qui s’associent à la commémoration du souvenir que marque le 11 novembre. On évalue à plusieurs millions le nombre de ces fleurs artificielles ainsi arborées.

Mais d’où nous vient cette tradition? Le coquelicot, cette fleur qui tire son nom de l’ancien français coquelicoq, une onomatopée qui a d’abord désignée le coq (XIVe siècle), puis, par assimilation avec la crête rouge de cet animal, la fleur (XVIe siècle), ne pousse pas au Canada, comme on peut en voir dans les champs de blé ou au bord des routes de certaines régions de France ou de Belgique.

Cette fleur sauvage s’est trouvée associée, bien involontairement, à la guerre. Au XIXe siècle, au cours des guerres de l’Empereur Napoléon, grand combattant devant l’éternel, on a remarqué sur les tombes de soldats morts au combat, creusées souvent sur place, l’apparition mystérieuse de cette fleur.

Et lors de la Première Guerre mondiale, la Grande Guerre de 1914-1918, on a vu de nouveau réapparaître des coquelicots sur le lieu des batailles, entre les tombes des soldats, sur le rebord des trous d’obus, dans des sols retournés. Dans les Flandres, particulièrement, cette région s’étendant dans le nord de la France et en Belgique, où ces fleurs étaient rares en temps de paix, leur présence, que l’on pouvait associer au sang versé, ne passait pas inaperçue.

Médecin et poète

Parmi les troupes combattant dans cette région se trouvaient des militaires canadiens et, parmi eux, le lieutenant-colonel John McCrae, né à Guelph, en Ontario, le 30 novembre 1872, qui servait comme médecin au sein du Corps expéditionnaire canadien, alors engagé dans le saillant d’Ypres, en Belgique. Il voyait défiler des centaines de blessés, notamment ceux touchés par les gaz, utilisés pour la première fois par les Allemands le 22 avril 1915.

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Profondément attristé par la mort d’un ami proche, le lieutenant Alexis Helmer, tué par un obus le 2 mai 1915, J. McCrae compose le 5 mai un poème qui allait devenir célèbre dès sa parution, en décembre 1915, dans le magazine britannique Punch: «In Flanders fields».

Il faut dire que J. McCrae n’en était pas à ses débuts en poésie, car lors de ses études il avait publié de nombreux poèmes dans des revues universitaires.

Malheureusement, le lieutenant-colonel McCrae devait décéder d’une pneumonie doublée d’une méningite le 28 janvier 1918 à l’âge de 45 ans, à l’hôpital militaire canadien de Boulogne-sur-Mer, dont il était devenu médecin chef en juin 1915. Il est inhumé au cimetière militaire de Wimereux, en France, près de Boulogne.

Dans ce dernier poème, il évoque ce qu’il voit, les coquelicots parsemés entre les tombes. Deux jours avant l’armistice du 11 novembre 1918, il y a donc 90 ans, cette évocation donne à Moina Michael, une enseignante d’Athens en Géorgie, qui travaillait alors à l’Overseas YMCA War Workers de New York, l’idée de porter un coquelicot durant toute l’année, en souvenir des combattants morts à la guerre.

Levée de fonds

En 1920, une Française, Mme Anna E. Guérin, se rend aux États-Unis et rencontre Mlle Michael au YMCA. À son retour, elle décide de confectionner à la main des coquelicots et de les vendre dans la période précédant l’anniversaire de l’Armistice, pour recueillir des fonds en faveur des enfants des pays ravagés par la guerre en Europe.

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En 1921, le maréchal Earl Haig, qui avait commandé les armées britanniques en France et en Belgique, et contribué à la fondation de la Légion britannique, entend parler de l’idée de Mme Guérin et encourage alors l’organisation du «Poppy Day Appeal» par la Légion, en vue d’amasser des fonds pour les anciens combattants pauvres et invalides.

Et cette même année, Mme Guérin se rend au Canada et convainc l’Association des anciens combattants de la Grande Guerre d’adopter le coquelicot comme symbole du souvenir, tout en contribuant à recueillir des fonds pour aider les anciens combattants dans la nécessité.

Aujourd’hui, comme l’indique Anciens Combattants Canada, «la campagne du coquelicot constitue l’un des programmes les plus importants de la Légion royale canadienne. Les fonds provenant des ventes de coquelicots permettent d’offrir une aide financière directe aux anciens membres des forces dans le besoin, et de subventionner l’achat d’appareils médicaux, la recherche, les services à domicile, les établissements de soins, etc.»

Quant à l’apparition «mystérieuse» des coquelicots sur les champs de bataille, elle a une explication très simple. Le coquelicot aime les sols contenant du calcaire. Les faits de guerre, bombardements retournant le sol, creusement de tombes, tranchées, on fait remonter en surface des éléments crayeux, qui ont fait prospérer les coquelicots. Et lorsque la situation est redevenue normale, les coquelicots ont disparu de ces endroits.

Au champ d’honneur

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Voici la version française du poème de John McCrae, établie par Jean Pariseau, historien militaire né à Montréal en 1924 et décédé en septembre 2006. Intitulée Au champ d’honneur, il s’agit d’une adaptation et non d’une traduction littérale.

Au champ d’honneur,
Les coquelicots 

Sont parsemés de lot en lot 

Auprès des croix; et dans l’espace 

Les alouettes devenues lasses 

Mêlent leurs chants au sifflement 

Des obusiers. 


Nous sommes morts, 

Nous qui songions la veille encor’ 

À nos parents, à nos amis, 

C’est nous qui reposons ici, 

Au champ d’honneur. 



À vous jeunes désabusés, 

À vous de porter l’oriflamme 

Et de garder au fond de l’âme 

Le goût de vivre en liberté. 

Acceptez le défi, sinon 

Les coquelicots se faneront 

Au champ d’honneur

La route de la paix sera bordée encore longtemps des coquelicots du souvenir, qui ne fleurissent pas en Afghanistan, où triomphent leurs cousins les pavots à opium, mais ici pour commémorer les douloureux souvenirs de tous nos soldats victimes de cette guerre lointaine.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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