La révolte syrienne vue de Toronto

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Publié 03/07/2012 par Nourhane Bouznif

Débutée en mars 2011, la révolte populaire en Syrie fait face à une violente répression de la part du gouvernement du président Bachar al-Assad. En 15 mois, le conflit a fait plus de 14 000 morts, selon le dernier bilan de l’Observatoire syrien de droits de l’homme.

À Toronto, la révolte rencontre le soutien de Syriens et des manifestations s’organisent contre le régime d’al-Assad, comme le 17 mars dernier où plus de 300 personnes étaient rassemblées dans le centre-ville.

L’Express a rencontré deux Syriens installés à Toronto. Ahmed* (*Le prénom a été changé) soutient la révolution populaire et a soif de liberté pour son pays. Lamia, quant à elle, supporte le régime au pouvoir et s’inquiète de la tournure des événements.

Régime brutal

Quand nous le rencontrons dans un café de Toronto, Ahmed semble tendu et un peu méfiant. Dès le début de l’entrevue, il demande à ce que son nom n’apparaisse pas dans l’article.

Il craint en effet que les autorités syriennes s’en prennent à sa famille s’il affiche publiquement ses opinions politiques. Arrivé à Toronto en 1995, ce Syrien de 53 ans s’est bâti une vie ici. Ce qui ne l’empêche pas de se rendre régulièrement en Syrie. La révolte, Ahmed la suit de près. Journaux télévisés, presse écrite, sites web d’information, il se tient au courant de l’évolution de la situation, depuis le commencement du soulèvement populaire en mars 2011.

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«Nous avons attendu ce moment pendant des années», explique-t-il avant d’ajouter que personne ne s’attendait à ce que cela dure aussi longtemps.»

«Je crois que les Syriens s’élèvent contre un régime brutal et recherchent la liberté. Ils veulent être traités avec dignité et que l’on respecte leurs droits.» Comme tous ceux qui soutiennent la révolte, Ahmed souhaite que Bachar al-Assad quitte le pouvoir et que ce soit enfin au peuple de décider.

«Le gouvernement, c’est une seule couleur, dit-il, il représente 5% de la population et il contrôle le pays à travers ces 5%.» La Syrie compte 87,5% de musulmans, dont 74% de sunnites et 10% d’alaouites, comme la famille al-Assad.

Ahmed n’a jamais digéré la façon dont le chef de l’État est arrivé au pouvoir.

En 2000, Bachar al-Assad est appelé à succéder à son père qui vient de mourir, après 30 ans passés à la tête du pays suite à un coup d’État en 1970. Il est alors trop jeune pour être président. Le Parlement modifiera la constitution en passant de 40 ans à 34 ans l’âge minimum pour un candidat à la présidentielle. Il sera finalement élu président de la République par référendum.

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«Il n’a aucune qualification», ajoute Ahmed. «N’importe quel Syrien pourrait être un meilleur président.» Il place ses espoirs dans le Conseil national syrien (CNS), une coalition d’opposition qui regroupe notamment des nationalistes, islamistes et libéraux.

Un vrai leader?

«Le CNS est le vrai représentant du peuple syrien. Je crois en eux parce qu’ils représentent tous les aspects de la communauté syrienne.» Mais pour le moment, c’est la mafia qui contrôle le pays, selon Ahmed.

«Le gouvernement perpètre des massacres et tue tous ceux qui se trouvent dans des endroits où on manifeste. Je pense que le gouvernement est devenu vicieux. Il brûle des maisons et tue des gens tous les jours.» Régulièrement, il tente de prendre des nouvelles de ses frères et sœurs dont certains résident à Damas.

«Ils ne peuvent pas parler librement au téléphone», raconte-t-il. Pas facile dans ces conditions de savoir ce qui se passe réellement à l’autre bout du fil.

Ahmed préfère ne pas prendre de risque. Surtout, ne pas se faire remarquer. À Toronto, il ne participe pas aux manifestations et sait de qui il doit se méfier dans son quartier. «On vivait tous ensemble…»

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«Les gens qui manifestent ici à Toronto savent qu’ils ne peuvent plus retourner en Syrie. Il y a des espions ici. Je préfère être prudent. Ils peuvent atteindre vos proches en Syrie et les retenir en otage.»

Avant, c’était paisible

Lamia, elle, a un discours aux antipodes de celui d’Ahmed. S’ils viennent tous les deux du même pays, leurs visions sont bien différentes. Installée à Mississauga depuis huit ans avec mari et enfants, Lamia, 38 ans, retourne souvent en Syrie, tout comme Ahmed.

Touchée par ce qui se passe dans son pays, c’est avec émotion qu’elle nous fait part de son point de vue sur la situation.

«Dans notre pays, il y a beaucoup d’ethnies et de religions, 18 groupes différents.» Lamia est chrétienne, comme 10% de la population syrienne.

«On vivait tous ensemble, c’est un pays paisible. Maintenant, ce n’est plus le cas. Avant je pouvais sortir le soir. Maintenant, il faut être rentré le plus tôt possible et les femmes doivent se couvrir avec un voile.» Pour Lamia, la révolte est menée par les sunnites, qui veulent être au pouvoir pour appliquer des lois islamistes.

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«Dans les médias, ils disent qu’ils veulent la paix, la démocratie et la liberté, mais sur le terrain, c’est le contraire», s’indigne-t-elle.

«J’ai peur que ça devienne comme en Arabie Saoudite où les femmes portent le voile. C’est effrayant de voir comment les gens reviennent en arrière. Ils veulent appliquer les lois strictes de l’Islam.» Si Ahmed dénonce les actes de violence commis par l’armée syrienne, Lamia accuse les révolutionnaires des mêmes actes.

La folie des rebelles?

«Il y a des endroits où les chrétiens ne peuvent pas aller. Ils (les rebelles) demandent aux gens de l’argent pour la révolution et cherchent les alaouites.» Elle évoque un jeune homme de sa communauté qui a été battu car on le soupçonnait d’être alaouite. «Ils se battent pour appliquer leurs lois et ne respectent pas les points de vue différents», s’alarme-t-elle.

«Dans le quartier (chrétien) d’où je viens, les gens sont partis. Avant nous ne faisions pas l’objet de discriminations.» Des cas de massacres et de tortures qui seraient perpétrés par les rebelles, Lamia peut en citer beaucoup. Elle raconte les corps en morceaux rendus aux familles et les gens qu’elles connaissaient, abattus en pleine rue.

«Maintenant les gens en viennent à dire ‘il a été tué, mais au moins on nous a rendu son corps entier’».

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Lamia a toujours soutenu Bachar al-Assad et le considère comme un bon président. «Bachar al-Assad est très éduqué, c’est un médecin.»

«Il est très proche des gens», dit-elle en ajoutant qu’il se promène dans la rue, qu’on peut le croiser dans des cafés comme n’importe quel Syrien.

«Je sais qu’on a encore du progrès à faire, mais là ça va détruire le pays. Ils (les rebelles) réagissent avec folie.»

Soutien au président

L’année dernière à Toronto, Lamia a organisé une manifestation de soutien au président, qui selon elle a réuni 400 personnes. Elle raconte que des opposants au régime les ont insultés durant le rassemblement.

«Le lendemain sur YouTube, ils avaient mis en ligne une vidéo qui racontait que le gouvernement avait payé les gens 100$ pour qu’ils viennent manifester et qu’on les avait fait venir par bus», s’indigne-t-elle. «On avait invité les médias, mais personne n’est venu», poursuit-elle. C’est la même chose en Syrie, d’après Lamia.

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«Les médias ne montrent pas les supporters.» D’ailleurs, Lamia ne fait plus vraiment confiance aux médias. «Les rebelles ont passé un marché avec Al Jazeera pour leur fournir de faux reportages. Beaucoup de journalistes d’Al Jazeera ont démissionné, car ils ne voulaient pas mentir. » Selon ses propos, les rebelles accusent l’armée syrienne de massacres et tortures qu’ils ont eux-mêmes commis, et trompent ainsi les journalistes.

Quand on lui parle du peu de soutien dont Bachar al-Assad bénéficie à travers le monde, Lamia rétorque que l’occident veut contrôler les pays comme il le fait avec l’Irak et l’Afghanistan.

Et l’un de ses cauchemars serait que la Syrie devienne comme l’Irak.

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