La monétarisation de la biodiversité

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Publié 13/04/2010 par Valérie Ouellet (Agence Science-Presse)

Quel est le prix d’un béluga du Saint-Laurent ou encore d’un marécage protégé? Inestimable pour les environnementalistes, négligeable pour certains entrepreneurs, la valeur des écosystèmes peut désormais être quantifiée. La monétarisation de la biodiversité, ou le fait d’attribuer une valeur économique aux écosystèmes et aux organismes vivants, pourrait permettre aux économistes et aux scientifiques de s’entendre pour sauvegarder la nature.

Afin de calculer la valeur des écosystèmes, les chercheurs s’arment des outils de l’économiste: «La meilleure façon pour ces derniers de calculer la valeur d’un item, c’est de se servir de la notion de marché, qui représente la confrontation d’une offre et d’une demande», explique le professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Jean-Pierre Revéret.

Ainsi, scientifiques et économistes doivent se résoudre à analyser un marché fictif pour estimer le prix de la biodiversité, souligne le chercheur. Toutefois, l’industrie du tourisme fournit des indicateurs économiques concrets.

«On peut estimer que la valeur d’un parc naturel est au moins égale à tout l’argent qui sera dépensé par ceux qui s’y rendent. Le fait que des touristes achètent des billets d’avion et du matériel de camping durant leur séjour, tout cela contribue à chiffrer la valeur d’un endroit. On va considérer ces dépenses comme une expression de leur volonté à payer pour la beauté du parc.»

Si l’on se fie à cette méthode, le Parc national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé, qui abrite les célèbres fous de Bassan et accueille chaque année près de
100 000 visiteurs, vaudrait plus d’un million de dollars!

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Premiers calculs au Québec

La théorie de la monétarisation a déjà fait ses premiers pas au Québec. Dans le cadre d’un projet de recherche en collaboration avec l’Union des producteurs agricoles, le professeur Revéret et son équipe ont déterminé la valeur du paysage environnant le ruisseau Vacher, un écosystème situé près de la municipalité de Saint-Jacques, dans la région de Lanaudière.

D’abord, son équipe a répertorié l’ensemble des espèces animales et végétales retrouvées sur le site, en plus de procéder à une analyse des sols.

Puis, les chercheurs ont demandé aux résidents de la région leur avis sur la qualité du paysage. «Sur les 260 habitants interrogés, plus de la moitié étaient prêtes à débourser jusqu’à 160 $ par année pour un paysage de qualité supérieure, révèle Jean-Pierre Revéret. C’est très intéressant de constater qu’une population qui n’est pas informée des théories de l’économie environnementale attribue une valeur économique et pas seulement esthétique à l’environnement qui l’entoure.»

Dilemme éthique

Les valeurs économiques révélées par les chercheurs connaissent toutefois des limites. «La valeur d’un paysage implique davantage que des chiffres. Quand on parle de la valeur du rocher Percé, on doit considérer sa valeur patrimoniale, esthétique, émotionnelle. Tous ces éléments font également partie des biens et services écologiques, même s’ils ne sont pas quantifiables», admet Jean-Pierre Revéret.

Chiffrer le coût de la vie implique également un dilemme éthique, insiste le professeur. «Là où ça devient très délicat, c’est lorsqu’on intègre la valeur de la vie aux formules. Lorsqu’on calcule la valeur de la dégradation d’un environnement, on peut pousser le calcul jusqu’à chiffrer les conséquences sur ses habitants. On va être amené très rapidement à estimer la valeur d’une vie humaine. On n’est plus dans l’économique, mais dans l’éthique.»

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La variable clé en économie de l’environnement demeure l’étroite collaboration entre chercheurs et économistes, selon Jean-Pierre Revéret. «C’est un champ d’études qui nécessite énormément d’interdisciplinarité. Il ne faut pas laisser l’économiste faire ces calculs tout seul. Il faut poser des balises externes à ce qu’on peut dire et faire», conclut le scientifique.

S’ils gravitent presque uniquement dans les milieux intellectuels et universitaires pour l’instant, les chiffres avec lesquels jonglent les chercheurs pourraient bientôt servir d’arguments dans des projets immobiliers ou industriels, espère l’enseignant Simon Cadorette, chargé de cours au département de sciences économiques de l’UQAM.

«Dans les cercles académiques fermés, le concept fonctionne, mais de façon beaucoup trop théorique. Le passage de la théorie à la pratique ne pourra toutefois se faire sans une intégration du concept de la part des élus. Toute décision sur l’environnement ou l’être humain doit passer par le politicien.»

www.sciencepresse.qc.ca

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