La ligne de front

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Publié 25/11/2008 par Jean Chenay

Il y a quelques jours, j’ai accompagné ma meilleure amie et parfois un peu plus au département d’oncologie. Elle devait passer un scan et quelques heures plus tard, rencontrer son oncologue. Il y a plus de trois ans que Francine fait partie de ces survivants, mieux connus sous le nom de patients en rémission. Ce n’était pas la première fois que j’accompagnais mon amie dans ce département où l’espoir côtoie l’angoisse. Ma dernière visite remontait à plus d’un an.

Il y a quelques semaines, elle m’a appris qu’elle croyait palper des bosses à certains endroits de son corps et qu’elle allait devancer un rendez-vous avec son oncologue. C’est sans hésitation que j’ai décidé de l’accompagner, comme je le faisais tout au long de ses traitements de chimiothérapie.

Quinze jours après que j’ai fait la connaissance de cette femme alors dans la jeune cinquantaine, elle appris qu’un lymphome s’était installé dans son corps.

Deux ans auparavant, son compagnon de vie avait succombé à un cancer. Pour ma part, dans les douze mois précédents notre rencontre, en l’espace de quelques mois, ma mère avait succombé à un cancer du poumon et mon père à celui du pancréas. Au moment de sa mort, le visage de ma mère était une copie de la toile du peintre Munch, le cri.

Six ans après, il me revient encore régulièrement en tête. Mon père, lui, était parti sans bruit: nous étions seul, je lui tenais la main, il a esquivé un tout petit sourire et a traversé cette ligne si mince entre être ou ne plus être.
J’ai aussi vu le cancer, ce rat, aspirer toute force à Pierre, un solide gaillard mort à 45 ans, laissant derrière lui une fille de 12 ans et un fils d’à peine 1 an. Il y eu aussi la belle Lorraine dont les cheveux roux et la voix traînante me fascinaient. Aussi,  beaucoup d’autres au fil des ans qui furent terrassés par le rat, celui qui bouffe les poumons, les seins, les muscles et qui laisse derrière lui peine, chagrin et colère.

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Francine, elle, a survécu, mais ce matin derrière sa démarche frondeuse, je sais qu’elle a peur. D’abord le scan. Ici, tout est pensé afin de bien accueillir le patient: sourires chaleureux du personnel et atmosphère détendue malgré tout.

Pendant que Francine passait son examen, il m’est revenu en tête ce premier Noël passé ensemble où elle venait de subir son deuxième traitement de chimiothérapie. Ses cheveux et sourcils avaient totalement disparus. Elle avait le visage bouffi par les médicaments, les yeux très cernés… Elle ressemblait à ce personnage tant aimé des enfants: Caillou, mais un Caillou à bout de force. Pourtant entouré de ceux qui l’aimaient, jamais une femme ne m’est apparue si belle.
 
Le scan terminé, nous nous dirigeons vers le 7e étage là où la chimiothérapie décape l’intérieur du corps.

Sur notre chemin, le banc où il y a quelques années alors que je souhaitais bon courage à un père haïtien qui tenait un enfant de deux ans dans ses bras, ce dernier me répondit le regard rempli d’une tristesse sans nom: «Je voudrais bien, monsieur, que ce soit pour moi que nous sommes ici, mais c’est le petit qui est malade.»

Nous sommes reçu par la même infirmière que nous connaissons bien. Une vraie professionnelle qui se souvient de chaque patient et dont l’empathie sans être exagérée est évidente.

Pendant que Francine rencontre son médecin,  je songe à ces nuits passés à l’urgence lorsque suite à un traitement de chimiothérapie, la fièvre prenait le dessus.

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Je revois  les yeux remplis de larmes qui pourtant, ne coulaient pas sur  son beau visage, du père de Francine, un homme d’une grande dignité à qui j’allais rendre compte de la situation suite à chaque visite à l’hôpital.
 
Mais en ce vendredi du mois de novembre, 5 ans après la rencontre de Francine avec le rat, assis dans la salle d’attente remplie de gens sans cheveux, amaigris, mais souriants et riants malgré tout, j’attends le verdict d’un oncologue, homme froid mais compétent, oeuvrant sur la ligne de front de cette guerre pour la vie.

Un de ces professionnels dont le rôle est de terrasser le rat à chaque fois qu’il le peut. J’attends et soudain la porte s’ouvre, Francine me sourit, les autres patients aussi se mettent à sourire, car ils forment tous une communauté tissée serrée, celle des survivants.La victoire de l’un des leurs est un peu leur victoire à eux.

Moi, je retiens mes larmes, je souris à mon tour. Tout ira bien, tout ira bien. Aujourd’hui, le rat a perdu. Ce soir, nous fêterons la vie!

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