La danse lugubre de coeurs en manque d’amour

Gabrielle de Patrice Chéreau

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Publié 23/05/2006 par Marta Dolecki

À l’image de son héroïne, la belle Gabrielle qui affiche souvent le même air froid et implacable, le long métrage éponyme de Patrice Chéreau se veut tout aussi tranchant et cruel. Mais Gabrielle, c’est aussi un film très lucide – et c’est peut-être là son plus grand mérite – dans la façon dont il expose les derniers instants d’un couple brisé par les convenances et les années de solitude.

Après Intimité du même réalisateur, les relations amoureuses se -retrouvent de nouveau sur le fil du rasoir alors que Chéreau saisit un homme et une femme, non plus là où leur histoire commence, mais bien là où elle finit.

Quand deux êtres découvrent qu’ils n’ont plus rien à se dire, leurs derniers soupirs et soubresauts sonnent comme les notes d’un violon mal accordé, symphonie morbide clamant le post-mortem du couple. Et c’est exactement ce qui se passe dans Gabrielle. Entre cruauté et lassitude, l’homme et la femme se fuient, se retrouvent, se déchirent et déclinent ainsi au pluriel l’impossibilité de vivre à deux.

Chéreau est connu pour ses grandes fresques historiques (La Reine Margot) où chaque geste, chaque mouvement des protagonistes est épié par l’ennemi, et s’enveloppe d’une atmosphère tendue, à couper au couteau. Le spectateur retrouve cette même pesanteur à l’oeuvre dans Gabrielle.

Chéreau met en scène un huit-clos étouffant où les deux protagonistes sont confinés dans un espace réduit, le nid conjugal, somptueuse demeure de la Belle Époque. Ils y ont tous deux connu un semblant de bonheur, puis plus rien. Désormais, leur appartement de luxe ressemble à un château de paille, gigantesque tombeau béant qui emportera avec lui les cendres de leur amour.

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Gabrielle est l’adaptation au grand écran d’une nouvelle de Joseph Conrad intitulée Le Retour. Son narrateur, Jean, y relate de façon particulièrement cruelle l’éclatement du couple qu’il forme depuis 10 ans avec sa femme Gabrielle.

Paris, les années 1910, un début de siècle dominé par la grande bourgeoisie. Les premières minutes du film pénètrent dans l’intériorité de Jean (Pascal Greggory) alors qu’une séquence en noir et blanc le montre à sa descente du train, tentant de se frayer un chemin parmi la foule de voyageurs. Une voix hors-champ, celle de Greggory, retranscrit les pensées du personnage, laissant entrevoir en creux un portrait de bourgeois pédant, plutôt satisfait de sa petite personne.

Oui, Jean entretient une belle relation avec l’argent et, dans le grand tourbillon de la vie, il se dit entre deux lignes qu’il a plutôt bien réussi. Ses dîners du jeudi sont parmi les plus réputés de Paris et il a fait fortune en reprenant un journal qui depuis, lui a rapporté des sommes considérables. Mais, assurément, la plus belle pièce de sa collection, continue-t-il, c’est sa femme, Gabrielle, fine, instruite et de bonne famille.

Cependant, les belles certitudes de Jean, son univers de carton-pâte, vont s’écrouler quand il rentre chez lui.

Même s’il est depuis longtemps passé au cinéma, Patrice Chéreau est et restera un homme de théâtre. Cette théâtralité marquée se retrouve dans les dialogues, le raffinement des décors ainsi que dans l’utilisation des lumières, un dégradé de verts et de jaunes qui restituent à merveille l’atmosphère sombre de la nouvelle de Conrad.

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On regrettera seulement la lourdeur de certains échanges entre Gabrielle et son mari. Au cinéma, le maniérisme, le beau langage utilisés de façon excessive et emphatique, peuvent venir déterrer plus d’un spectateur – simple question d’accessibilité.

«Si je savais si que tu m’aimais, je ne serais jamais revenue»… Mais que veut donc dire Gabrielle? On fronce les sourcils, puis dans un éclair de lucidité, on comprend soudain. On comprend que, comme beaucoup de femmes, Gabrielle veut quitter pour mieux blesser celui qu’elle a aimé. Et ainsi, à la lumière de cette dernière réflexion, ce portrait de couple qui semble dire: «je vais te faire payer pour tout le mal que tu m’as fait», nous apparaît alors très actuel.

Gabrielle sort dans les salles à Toronto le vendredi 26 mai.

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