La communauté francophone virtuelle est-elle réelle?

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Publié 23/05/2006 par Yann Buxeda

En 2000, Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général de la Francophonie, faisait état de l’émergence d’une communauté francophone sur Internet. En six ans, l’idée a fait son chemin et ce sont aujourd’hui des millions d ‘utilisateurs de la langue de Molière qui se rejoignent sur la Toile.

Premiers cristallisateurs de population francophone de par le monde, les forums de discussions sont les catalyseurs de ce dynamisme communautaire virtuel.

Vivre sa francophonie minoritaire au Canada et plus globalement dans le monde semble aller au-delà du lien géographique. Le concept est associatif, festif, éducatif, mais plus vraiment démographique. Et avec l’émergence d’Internet, il serait même légitime d’évoquer une nouvelle facette, cette fois cybernétique, de la communauté francophone.

L’Express avait précédemment évoqué cet aspect à travers les portraits de quelques sites comme pvtistes.net ou tagueule.ca, des espaces essentiellement dédiés à l’échange d’information et d’opinion. Mais il n’a pas encore été question de sites qui ont vocation à faciliter l’interaction au quotidien des francophones.

C’est le créneau sur lequel tente depuis peu de se positionner le site FrenchNetwork.org. Le concept est simple: centraliser sur une unique plate-forme les besoins de 120 millions de francophones, quelque soit leur demande.

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Selon Ilan Abehassera, administrateur du site, c’était avant tout un souhait profond de la communauté francophone internationale: «La création de FrenchNetwork.com résulte d’un besoin très présent chez la communauté française et francophone d’avoir un portail communautaire leur permettant de communiquer entre eux, d’être entraidé par des personnes qui ont vécu la même expérience qu’eux, de se retrouver, et donc de retrouver leurs propres racines même à l’étranger. Nathanael (le fondateur), et moi-même sommes des expatriés. Nous avons donc décelé cette demande très rapidement, et avons joint nos compétences pour monter ce portail et ainsi tenter de combler ce manque.»

Un concept fédérateur

Surfant sur la vague du succès de Craigslist et de ses émules, FrenchNetwork.org propose tout un système d’annonces dans de nombreux domaines. Location ou vente d’appartement, échanges linguistiques, vente d’électroménagers et même objets perdus. Au total, plus de 650 petites annonces sont réparties sur 33 catégories.

Le site, disponible en français et en anglais, offre également quelques annuaires destinés aux expatriés francophones à la recherche d’un bon restaurant, d’un spectacle ou d’un professionnel à même de leur proposer un service en langue française. Il y est possible d’y déposer son CV ou d’y consulter les profils de personnes à la recherche d’emploi.

Un forum ainsi qu’un système de chat intégré sont également mis à disposition des visiteurs, afin de développer une communauté d’utilisateurs propre au portail. En ligne depuis le mois d’avril 2006, le site a accueilli près de 12 000 visiteurs, pour un total de plus de 120 000 pages consultées.

Un chiffre globalement satisfaisant, pour un site encore en construction, révélateur du dynamisme de la communauté virtuelle autour de la langue française. C’est en tout cas le point de vue d’Ilan Abehassera: «Nous ne nous attendions pas à ce que le portail fonctionne aussi rapidement à ce régime. Cela prouve que nous avions visé juste.»

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Mais cette notion de francophonie virtuelle n’est pas un phénomène isolé, et tend même à se développer de plus en plus. Ainsi, des sites comme lacle.ca ou toronto-franco.com proposent des projets communautaires similaires qui s’appuient sur le fait francophone en Ontario. D’autres sites ciblent un domaine précis, comme rafi.net, un réseau qui s’adresse aux entrepreneurs désireux de faire des affaires en lien direct avec la communauté francophone.

Des avis divergents

Selon Martin Meunier, sociologue à l’Université d’Ottawa, c’est une conséquence majeure de l’éparpillement de la communauté francophone dans les grandes villes: «Avec l’avènement d’une classe moyenne, les francophones canadiens hors Québec ont eu la possibilité d’acquérir des biens immobiliers dans les banlieues et, par conséquent, se sont plus ou moins éloignés du concept de communauté de proximité géographique. Il est néanmoins difficile d’affirmer que l’émergence de cette communauté francophone virtuelle est un prolongement de la précédente.»

Pour le sociologue ottavien, il serait plus question d’une solution de remplacement naturellement instaurée avec l’évolution technologique: «Selon moi, il s’agit plus d’un palliatif à cette évolution socio-démographique, notamment pour les francophones qui ressentent un besoin important de dynamisme social. C’est le cas de la génération Internet, en l’occurrence des jeunes de 12 à 20 ans, qui sont particulièrement actifs sur les forums de discussion et les messageries instantanées. Mais la viabilité d’une telle communauté sur le long terme est discutable en ce sens où il n’existe aucun véritable lien commun d’ordre héréditaire. Mais là encore, nous ne pouvons tirer aucune conclusion avant que le phénomène ait fait son chemin.»

Pour certains, le concept de communauté virtuelle est même totalement inimaginable. Ronald Babin, sociologue à l’Université de Moncton au Nouveau-Brunswick, est particulièrement sceptique quant à l’effet positif d’une telle démarche: «Internet ne peut en aucun cas permettre la création d’une communauté. Il ne faut pas mélanger les choses! C’est simplement un outil de communication au même titre que ce que propose la poste. Il n’y a pas de phénomène sociologique spécifique à la Toile.»

Une analyse surprenante, puisqu’il est aujourd’hui difficile de nier le dynamisme des internautes francophones, qui se réunissent chaque semaine sur ces forums de discussions et y passent parfois plusieurs heures par jour.

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