Jean-Luc Marchessault a formé la police haïtienne aux mesures d’urgence

«Il faut voir les choses avec les yeux des Haïtiens»

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Publié 28/05/2013 par Guillaume Garcia et Albane Valade

En 13 mois sur place, Jean-Luc Marchessault, consultant torontois en sécurité et en gestion des risques, a formé plus de 400 membres et volontaires de la Police nationale haïtienne à l’évaluation et la planification de la gestion des risques. Rentré au pays il y a quelques semaines, il nous livre son expérience et reste positif sur le sort d’Haïti où il a assisté à de «petites victoires».

En 2011, après la fin d’un contrat en collège communautaire, Jean-Luc Marchessault, ancien enquêteur au Service canadien du renseignement de sécurité, s’est vu proposer une mission en Haïti par Emergency Preparedness Consultants, firme engagée par l’Ambulance Saint-Jean pour mettre en place les structures de gestion de risques à Port-au-Prince et en Haïti, en parallèle à une autre formation de secourisme.

Le choc de l’arrivée

«À ce moment-là, plein de choses se sont passées dans ma tête, la famille, etc. Mais j’ai dit oui. J’étais prêt à relever le défi, mais c’était conditionnel à ce que ma femme allait dire! Elle me connaît bien et elle savait que si je n’acceptais pas le défi je le regretterais toute ma vie», dit Jean-Luc Marchessault, rencontré dans un café dans l’est de Toronto.

Il part pour Haïti en novembre 2011 et vit un choc culturel intense. «On pense à sa famille dans les premiers jours, on a le cafard, mais il faut faire le travail», dit Jean-Luc, qui a eu deux semaines sur place pour régler les affaires courantes avant de véritablement commencer à donner ses cours.

Là, il peut prendre toute la mesure des dégâts et de ce qui reste à faire, malgré l’année et demie qui s’est écoulée depuis la catastrophe qui a ravagé l’île.

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«On m’a fait faire un tour de la ville pour me familiariser. Ça m’a donné la chance d’absorber la réalité haïtienne. Après le séisme, le gouvernement était anéanti.»

On ne réalise pas

De ce «périple», l’ex-enquêteur revient marqué par la pauvreté du pays, le nombre de camps de déplacés, le manque d’infrastructures et d’organisation sociale.

«C’est le désastre», soupire-t-il.

«On constate la désolation et la culture de la dépendance. On a visité une caserne de pompiers, et ils vivent dans les véhicules, les bâtiments sont insalubres.» Il se rappelle aussi l’odeur nauséabonde des déjections humaines dans la rue, à ciel ouvert avant de lâcher: «En Amérique on ne réalise pas ce qu’on a.»

Il a d’ailleurs bien profité de cette tranquillité qu’offre le Canada, à chacun de ses retours, environ tous les trois mois. «Chaque fois que je revenais, c’était Noël, j’étais excité comme un enfant de retrouver tout ça.»

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Former et transmettre

Sur place, l’objectif de l’équipe de Jean-Luc Marchessault était de donner des outils aux Haïtiens pour «qu’ils puissent gérer leurs propres affaires».

«Le défi c’était de faire un cours et l’adapter à la réalité haïtienne. Voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas», indique-t-il.

Selon une grille de lecture, il enseigne aux policiers haïtiens à dresser une liste de risques, les évaluer et planifier en conséquence. Séisme, tempête, choléra comptaient parmi les risques qui revenaient le plus souvent dans les listes dressées par les Haïtiens.

Mais planifier à la nord-américaine ne se fait pas sans mal, comme le souligne Jean-Luc Marchessault. «Les Haïtiens vivent pour le moment, ils ne pensent pas à demain, ça fait partie de leur culture. Mon défi a été de leur apprendre à planifier, à leur montrer la réalité haïtienne et les solutions à apporter en conséquence.»

Le plus beau compliment

Jean-Luc change alors sa manière d’enseigner pour la rapprocher le plus possible de la situation que traverse Haïti. Après quelques mois, un de ses étudiants lui fait le plus beau compliment possible. «Il m’a dit que mon cours reflétait bien la réalité haïtienne», dit le conseiller en gestion des risques, frissonnant encore rien qu’à repenser à la scène.

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Au bout de 13 mois, Jean-Luc Marchessault est revenu sur ses terres avec le sentiment du devoir accompli. «Je suis très satisfait du résultat. Je le dis avec fierté. Les gens de la Police nationale d’Haïti reconnaissent qu’ils avaient vraiment besoin des cours. Il faut continuer la formation. Ils ont vu l’importance de la planification.»

Former des formateurs

Jean-Luc a également pris soin de bien transmettre ses connaissances et ses méthodes d’enseignements à ses étudiants, pour qu’ils puissent à leur tour former d’autres policiers ou volontaires.

«Pendant deux semaines, j’ai pris les trois meilleurs éléments de la classe et ils ont donné le cours avec moi et la dernière semaine ils ont donné le cours tous seuls», explique Jean-Luc. Son équipe et lui ont donc réussi à bien passer le flambeau et laisser les Haïtiens entre de bonnes mains. «On a fait ce qu’on avait à faire, on a formé des Haïtiens qui vont en former d’autres. Moi je dis Mission accomplie.»

Des maisons pour tous

Pour autant, la situation globale est loin d’être réglée en Haïti, comme a pu le constater Jean-Luc Marchessault. Il mentionne par exemple les camps de déplacés, qui drainent une population qui n’est pas forcément «déplacée.»

Un membre des pompiers lui a expliqué que de nombreux Haïtiens ont cru une rumeur qui disait que les ONG allaient donner des maisons à tous ceux qui étaient dans les camps de déplacés. Cela a attiré des centaines de milliers de personnes de plus dans ces camps.

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«Les camps sont construits pour accueillir 300 000 personnes, mais en accueillent 800 000.»

La culture de la dépendance représente aussi un problème selon lui, qui a assisté à des scènes surréalistes où les parents incitent leurs jeunes enfants à mendier.

La tempête Sandy

Jean-Luc regrette également le manque de respect pour l’environnement, même si la conscientisation progresse. Cela créé encore de nombreux problèmes, comme le débordement des égouts par exemple.

Lui-même a dû s’adapter à ce qu’il nomme comme «la réalité haïtienne», soit de ne pas avoir un accès garanti à l’électricité, par exemple. 

«Dans la première résidence où l’on était, on a eu des problèmes d’électricité. Il y avait une incertitude sur ce qu’on allait pouvoir faire sans génératrice. On ne pouvait pas communiquer», se souvient Jean-Luc, qui a traversé la tempête Sandy et a pu prévenir sa femme que tout allait bien par texto… qui a mis huit heures à arriver!

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De l’espoir

Reste qu’Haïti et son peuple se serrent les coudes pour tenter de s’en sortir, une note positive sur laquelle tient à insister Jean-Luc Marchessault, qui croit en la capacité du pays à s’en sortir.

« Il y a un manque de progrès; c’est un sentiment partagé par les Haïtiens, mais pendant que j’étais là, j’ai vu des petites victoires», indique-t-il.

«Il y a un esprit d’entreprenariat incroyable. À tous les coins de rue il y a des petits entrepreneurs. La volonté est là, ils veulent s’en sortir, mais il y a une culture de la dépendance. Il y a une résilience remarquable des Haïtiens. Juste passer à travers une journée, c’est une victoire.»

Il pointe du doigt les petites améliorations des infrastructures, qui sont généralement un frein au développement. «Le réseau routier est insuffisant, Port-au-Prince c’est la capitale des nids de poule. Mais à chaque fois qu’une route est repavée, un pont reconstruit, ce sont des petites victoires. Là on va reconstruire le Palais présidentiel, le parlement. On créé des logements, ça aussi ce sont des petites victoires.»

Un mois à décompresser

Triste de quitter Haïti, où il a rencontré des gens incroyables pour qui il a beaucoup de respect, le retour de Jean-Luc Marchessault a été fort en émotion. «Ça m’a pris un mois à décompresser. Pour vider tout le stress.»

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Petit à petit il reprend ses habitudes de Canadien, comme celle de marcher dans la rue tranquillement, chose qu’il ne pouvait pas faire à Port-au-Prince, où il se déplaçait continuellement en voiture, ou encore de socialiser.

Si Jean-Luc Marchessault est parvenu à se vider de tout le stress accumulé pendant ses 13 mois, il demeure très sensible à la situation en Haïti. En parler lui donne encore des frissons et se replonger dans ses photos lui met une petite boule au ventre.

Les horreurs, la misère qu’il a pu voir, mais aussi la satisfaction profonde d’avoir apporté sa pierre à l’édifice resteront avec lui à jamais.

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