Jean Ferrat a porté son enfance toute sa vie

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Publié 29/03/2011 par Paul-François Sylvestre

Pour ceux qui sont dans la soixantaine ou même la cinquantaine, des chansons comme Nuit et brouillard ou Que serait-ce sans toi? rappellent le très doux souvenir de Jean Ferrat. Spécialiste de la chanson française, Daniel Pantchenko a récemment signé une biographie de ce virtuose décédé le 13 mars 2010. C’est un ouvrage qui offre plein d’anecdotes, toutes plus savoureuses les unes que les autres.

Jean Tenenbaum, de son vrai nom, est né le 26 décembre 1930. Fils de Mnacha Tenenbaum, immigré russe qui s’établit en France en 1905, Jean n’apprendra que sur le tard que son père était juif. Il a huit ans lorsqu’Hitler envahit la Tchécoslovaquie et annexe la Bohème-Moravie. L’enfant n’en guérira jamais. Avec des chansons comme Nuit et brouillard, Potemkine, Maria et Camarade, il cultivera «un impérieux devoir de mémoire, de classe même, unique dans la chanson française».

En se confiant à un journaliste, Ferrat transcrit «la blessure intime de l’homme» lorsqu’il affirme qu’«on porte son enfance toute sa vie. […]

Le racisme, le nazisme, je les ai découverts à onze ans. Je ne savais pas que mon père était juif, je ne savais pas que c’était mal d’être juif. […] Je ne pourrais jamais plus tolérer le racisme sous quelque forme que se soit.»

Jean Ferrat passe sa première audition en 1953 (22 ans) et un certain Claude Nougaro se risque à le faire monter sur les planches de la butte Montmartre. Ainsi commence sa période d’apprentissage, de débrouillage et d’expériences diverses aussi nécessaires qu’improbables. Il se frotte régulièrement au public pour apprendre son métier.

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C’est à ce moment-là qu’on lui dit qu’il faut un nom court dans le métier de chanteur, que le sien (Tenenbaum) est trop long pour les affiches. Il regarde une carte de la France et tombe par hasard sur Saint-Jean Cap Ferrat. «Jean Ferrat sonnait bien, c’était clair, c’était court.»

Le 20 juillet 1954, Ferrat fait une rencontre décisive qui s’appelle Christine Sèvres. Comédienne de trois ans sa cadette, elle est déjà une chanteuse qui fréquente Saint-Germain-des-Prés au parfum enivrant d’existentialisme.

Son influence sera logiquement très forte sur Jean (elle l’épousera). En septembre 1958, Ferrat sort un premier super 45 tours (Les Mercenairessuivi de Ma vie, mais qu’est-ce que c’est?).

Il faudra attendre le 26 janvier 1964 pour que Nuit et brouillard arrive sur le petit écran et attire l’attention de la critique. La directrice de Discorama n’aime pas la chanson engagée mais, dans le cas de Ferrat, cela lui paraît une chose essentielle: «vous considérez la vie d’une façon normale, avec l’importance qu’a le plaisir, mais aussi l’importance qu’a le malheur et surtout le malheur des autres».

Nuit et brouillard est une chanson que Ferrat a mis des années à écrire. Elle s’appuie «sur la mémoire personnelle du drame familial vécu, de ce père arraché, disparu brutalement dans le Paris de l’Occupation, et dont la femme et les enfants n’apprendront la déportation et la mort que beaucoup plus tard».

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Le titre de la chanson fait allusion à un décret signé le 7 décembre 1941 par le maréchal Wilhelm Keitel ordonnant la déportation de tous les ennemis du Troisième Reich dans le cadre de dispositions dites «Nuit et brouillard».

Cette grande biographie consacrée au chanteur que beaucoup considèrent comme le dernier des «quatre grands» (après Brassens, Brel et Ferré), est le fruit de trois ans de travail, mais aussi, avant cela, de multiples rencontres entre Daniel Pantchenko et Jean Ferrat, qui se sont connus dès les années 1970.

Selon Pantchenko, Ferrat était un mélodiste hors pair, doté d’une superbe voix, un auteur populaire dans le meilleur sens du terme et il l’a prouvé dès 1964 avec la chanson qui restera à jamais attachée à lui, La Montagne, écrite à Antraigues, dans ce village d’Ardèche où il a vécu de 1973 jusqu’à ses derniers jours.

Passionné depuis toujours par la poésie, Ferrat est aussi l’artiste qui a le mieux réussi à la marier avec la chanson, notamment avec de véritables tubes comme Que serais-je sans toi? et Aimer à perdre la raison, qui mettaient en musique des textes d’Aragon.

L’ouvrage contient un index des chanteurs cités et une discographie qui raviront les chercheurs.

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Daniel Pantchenko, Jean Ferrat, biographie, Paris, Éditions Fayard, 2010, 572 pages plus 30 photos, 34,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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