Jane Birkin, dé-muse-tyfiée

L'artiste «franglophone» se produira à Toronto le 25 février prochain au Music Hall

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 12/02/2008 par Yann Buxeda

«Désolé, j’ai une extinction de voix, vous aurez peut-être du mal à m’entendre!» L’entrée en matière est surprenante, mais a le mérite de lancer la conversation sur une note d’humour. Jane Birkin, si ce n’est un anecdotique handicap vocal, se prête avec plaisir au jeu de l’entretien. Les minutes passent, les sujets de discussion viennent naturellement… Elle maîtrise incontestablement l’art de faire vibrer la corde sensible chez son interlocuteur. Birkin, même sous un registre étiolé par son inflammation du larynx, possède dans ses cordes l’art de faire jouer son charme. Une british touch qui laisse sans voix…

Femme, muse, mère, artiste… Versatile, glamour, sensuelle, androgyne… Au fil de la carrière de Jane Birkin, substantifs et qualificatifs se sont succédé mais aucun n’est jamais parvenu à lui seul à saisir la quintessence du personnage. La bouleversante égérie glamour de la fin des années 60, que l’on avait connue fragile et effarouchée au bras du famélique Gainsbourg, dégage toujours cette insaisissable candeur qui lui est propre.

Actrice, comédienne, productrice, réalisatrice, scénariste, interprète ou auteure, Jane Birkin a cumulé les expériences artistiques avec plus ou moins de réussite. Mais plus qu’à travers ses propres créations – qui n’ont pas toujours reçu l’accueil escompté – c’est au crédit de sa polyvalence que l’on peut mettre son extraordinaire longévité.

Que l’on s’entende, pas question de remettre ici en cause le talent créatif de l’icône «franglophone»! Mais la fleur avait initialement éclos sous serre, dans l’ombre d’un épais baobab artistique au feuillage dense et mystérieux. Le plus grand mérite de Jane est cette capacité qu’elle a eu à s’extraire du rôle de muse gainsbourgienne auquel elle avait été confinée à ses débuts. Une prison dorée qui n’a pas manqué de lui jouer quelques tours sur le plan professionnel.

Dix-sept disques, treize rôles de composition, une pièce de théâtre et quelques scénarios plus tard, Serge Gainsbourg n’est plus, «Melody Nelson» non plus.

Publicité

Le symbole érotico-sensuel de la génération soixante-huitarde puise toujours son inspiration chez son éternel compagnon, évidemment, mais aussi chez bien d’autres génies contemporains. Une ubiquité nécessaire à l’affinage de sa propre légende.

Humanitaire, musique, cinéma, c’est une artiste aujourd’hui complètement débridée qui se confie à L’Express, quelques jours avant de se produire au Danforth Music Hall de Toronto.

L’Express: En juin 2007 sortait votre film Boxes. Vous y évoquiez la relation de plusieurs personnages avec leur passé. Sur un plan personnel, comment appréhendez-vous vos propres souvenirs, votre parcours?

Jane Birkin: J’ai réalisé Boxes récemment, mais l’idée de base a germé dans mon esprit il y a quinze ans. J’ai fini par le réaliser après maintes difficultés financières. C’est un film qui me touche mais qui ne me correspond plus.

C’est plus un film qui évoque la situation d’une femme de 40-45 ans. Peut-être celle que j’ai été… mais aujourd’hui je ne peux plus me reconnaître dedans.

Publicité

Justement, dans quelle mesure Boxes peut-il être considéré comme un travail autobiographique?

On a lu ici et là qu’il s’agissait d’un film autobiographique. Je pense que c’est plus complexe que cela. Si j’avais voulu parler directement de moi, j’aurais écrit ma propre bio.

On m’a déjà proposé des sommes astronomiques pour le faire, mais j’ai toujours refusé. Boxes ne déroge pas à la règle, il faut vraiment n’y voir rien de plus qu’une fiction.

Déjà, par principe, j’ai du mal à regarder derrière moi. J’ai fait une centaine de films, soixante que je considère comme des «merdes» (sic) et une vingtaine dont je suis assez fière. J’ai par ailleurs trois magnifiques filles qui font le même métier que moi.

Mais même sur le plan professionnel, je continue toujours à travailler ma musique et le cinéma fait plus que jamais partie de ma vie. Je tournerai avec Jacques Rivette cet été par exemple. J’ai un présent bien occupé et donc pas le temps ni l’envie de me retourner sur ce que j’ai fait pour le moment.

Publicité

Parlant de votre parcours, vous avez multiplié les casquettes dans le domaine artistique. Devant, derrière la caméra, dans un studio d’enregistrement, sur les planches. Sous quel rôle vous sentez vous le plus à votre aise?

Quand je fais vivre mes propres créations, je suis toujours plus à l’aise. La réalisation de mon propre film a été une expérience géniale par exemple. Je n’avais pas le trac comme je peux l’avoir tous les soirs avant de monter sur scène.

C’est beaucoup plus reposant de regarder d’autres jouer ses propres histoires que l’inverse. C’est amusant, puisque chaque fois que j’ai interprété quelque chose dont j’étais à la base, ça allait. Tout le reste de ma carrière, j’ai eu la trouille. (rires)

Vous avez beaucoup écrit, notamment un livre, mais aussi des scénarios et une pièce de théâtre… En musique vous êtes plus souvent interprète qu’auteure. Pourquoi? L’écriture de chansons est un mode d’expression qui vous convient moins?

Ce n’est pas forcément une question de convenance mais plutôt de circonstance. J’ai eu la chance de vivre et collaborer avec ce génie de la musique et de l’écriture qu’était Serge. Je n’avais aucune raison de me pencher sur l’écriture puisqu’il le faisait mieux que quiconque.

Publicité

Malgré tout, j’ai écrit quelques textes par la suite, notamment pour des copains comme Alain Chamfort. Mais ça a toujours été plus amateur que véritablement professionnel.

Sur votre dernier album, Fictions, de nombreux chansonniers et musiciens vous ont taillé des pièces sur mesure. C’est au final un peu dans la continuité de ce que vous aviez proposé à travers Rendez-vous, le concept des duos en moins…

Fictions est incontestablement la suite naturelle de Rendez-vous. Il a été réalisé avec le même producteur, dans le même studio d’enregistrement, et souvent les mêmes auteurs. Les deux principales différences se situent effectivement au niveau des duos et aussi en termes de linguistique.

Je voulais un album plus anglophone, pour voir au moins une fois ce que ça faisait de se sentir anglaise. Cela fait si longtemps que je suis française! (rires)

Sur Rendez-vous, certaines collaborations m’ont apporté beaucoup. La chanson Alice de Tom Waits représente le moment que je préfère chaque soirée que je passe sur scène. C’est toujours un moment magique. Et je trouve que Rendez-vous, Fictions et quelques chansons de Serge font un sympathique cocktail!

Publicité

C’est justement le programme en détail du tour de chant que vous donnez en ce moment. Des chansons de Fictions, d’autres issues de Rendez-vous et certaines de Serge Gainsbourg.

Oui et c’est justement pour cela que cette tournée s’appelle Rendez-vous. L’objectif est avant tout d’aller à la rencontre du public. J’ai fait quatre ans de tournées magiques avec Arabesque, où j’ai visité des pays incroyables. J’ai joué en Lituanie ou et Palestine par exemple.

Et je voulais vraiment prolonger l’expérience et revenir dans ces pays. Mais pour cela, il me fallait un programme de concert qui puisse réunir tous ces publics différents. Il fallait forcément du moi, mais aussi du Gainsbourg. Par contre cette fois, j’ai mis des chansons moins connues de Serge, tout en restant dans les classiques. Je suis venu te dire que je m’en vais, par exemple… Je ne l’avais pas chanté depuis longtemps!

Par contre comme je ne suis pas toujours satisfaite du rendu de la voix, je me suis entourée cette fois de trois excellents musiciens qui touchent à au moins trois instruments chacun. Ça donne au spectacle un rendu plus rock’n roll. Avec un peu de chance, on retrouvera ces performances dans les boîtes de nuit! (rires)

L’autre facette de votre personnage public que l’on connaît moins à l’étranger concerne vos engagements humanitaires. C’est un sujet que vous évoquez dès la page d’accueil de votre site Internet, mais que vous soulevez régulièrement à travers les médias.

Publicité

Je fais le maximum pour mettre ces causes en avant. Comme nos gouvernements occidentaux ne font rien, il est important de passer un petit coup de projecteur sur certaines situations. Là où les enjeux économiques sont prépondérants, on ne bougera pas.

C’est le message que j’ai reçu du président Sarkozy et des autres politiciens dans leur globalité. Moi, je ne suis pas politicienne, j’ai donc le regard moins tourné sur les intérêts financiers d’une intervention humanitaire. Il y a une grande problématique qui devrait déterminer ou non la légitimité d’une implication, à savoir si les populations souffrent.

Deux populations en situation de grande précarité attirent notamment votre attention: les Tchétchènes et les Birmans. Dans quelle mesure pouvez-vous agir en tant qu’artiste et plus largement à travers votre statut de personne publique?

En Birmanie, la pauvreté est tellement flagrante que moines et étudiants défilent dans la rue au péril de leur vie. Même la Croix Rouge n’est plus la bienvenue là-bas. C’est invraisemblable, tout comme le fait que la torture y soit monnaie courante.

Pareil en Tchétchénie au sujet des mines antipersonnel que les Russes ont laissé traîner partout après les deux guerres. Les Tchétchènes vivent avec le risque quotidien de se faire mutiler pour avoir simplement posé le pied au mauvais endroit.

Publicité

Sur le plan concret, je m’occupe par exemple d’un groupe de danseurs qui sont pratiquement tous invalides, «Des moignons qui saignent». Ce sont de petites actions mais elles sont nécessaires, surtout tant que les politiciens ne se pencheront pas sur ces problèmes.

Ces problèmes, ce sont aussi ceux des enfants…

Absolument. Dans certains endroits du globe, 40% des enfants n’atteignent pas l’âge de cinq ans. En Birmanie, ils dorment souvent à même le sol et n’ont pas accès à une éducation décente. La Birmanie est un enfer pour les enfants. C’est une plaque tournante du marché de la drogue, un territoire ravagé par le Sida 
et surtout, on y dénombre près de 60 000 enfants-soldats.

On va terminer sur une note un peu plus joyeuse, avec votre venue à Toronto à la fin du mois. Vous savez qu’en Ontario, la francophonie a un statut particulier. Le français y est une langue officielle mais minoritaire. Vous, en France, vous êtes un peu l’ambassadrice de cette dualité linguistique «à la canadienne». Avez-vous conscience du fait de pouvoir rejoindre à la fois un public anglophone et un public francophone dans la même ville?

C’est vrai qu’à la base je présume toujours que mon public est un public français, où que je joue. Mais je sais aussi qu’en Angleterre, toutes les dates sont complètes et je pense bien que dans le lot il y aura quelques anglophones!

Publicité

Mais je pense malgré tout qu’à Toronto comme dans beaucoup d’autres villes, je ferais surtout déplacer des Français en mal de France, en mal de Serge et qui cherchent une petite piqûre de rappel. Après, évidemment que tout le monde est bienvenu, mais il serait prétentieux de ma part de penser pouvoir aller chercher un autre public que celui-ci.

Jane Birkin au Music Hall (rue Danforth, métro Broadview), le lundi 25 février à 20h. Guichet: 416-778-8163. www.themusichall.ca

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur